Politique

2024, "annus horribilis" d'Emmanuel Macron, piégé par sa dissolution

  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©Bertrand GUAY, AFP - Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©STEPHANE DE SAKUTIN, AFP - Le président Emmanuel Macron sur le perron de l'Elysée, le 9 décembre 2024 à Paris
  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©Ludovic MARIN, AFP - Le chef du parti "Horizons" et maire du Havre Edouard Philippe arrive à l'Hôtel Matignon, le 19 septembre 2024 à Paris
  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©Thibault Camus, AFP - Le président Emmanuel Macron prononce un discours lors de la cérémonie pour la réouverture officielle de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 7 décembre 2024 à Paris
  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©ALAIN JOCARD, AFP - Le nouveau Premier ministre Gabriel Attal, le 12 janvier 2024 à Paris
  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©Ludovic MARIN, AFP - Le président Emmanuel Macron (c) lors d'une discussion avec des agriculteurs et des membres de syndicats agricoles au Salon de l'agriculture, le 24 février 2024 à Paris
  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©FRED TANNEAU, AFP - La photo de l'eurodéputée Valérie Hayer (G) et du président Emmanuel Macro sur le prospectus de campagne du parti "Renaissance" pour les prochaines élections européenne, le 16 mai 2024 Pluguffan, dans le Finistère
  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©Bertrand GUAY, AFP - Eric Ciotti quitte l'Elysée après une rencontre avec le président Emmanuel Macron, le 26 août 2024 à Paris
  • Passation des pouvoirs entre Michel Barnier (g) et le nouveau Premier ministre François Bayrou à l'hôtel Matignon, le 13 décembre 2024 à Paris
    ©ALAIN JOCARD, AFP - Le Premier ministre Michel Barnier lors de son discours de politique générale à l'Assemblée nationale, le 1er octobre 2024 à Paris

Emmanuel Macron voulait que ce soit l'année du "réarmement" de la France, il termine 2024 comme désarmé par sa propre dissolution.

"Annus horribilis". Rarement l'expression aura si bien décrit les douze derniers mois du chef de l'Etat, englué dans la plus grave impasse politique des dernières décennies.

Une année de tous les records institutionnels, mais des records peu enviables: un gouvernement démissionnaire pendant 51 jours, puis le bail à Matignon le plus éphémère de la Ve République pour Michel Barnier, renversé par l'Assemblée nationale lors d'une censure inédite depuis 1962.

Et sur le papier, la nomination vendredi comme Premier ministre de son premier allié, le centriste François Bayrou - qui devient le quatrième chef de gouvernement en fonctions depuis le 1er janvier -, ne résout pas la crise elle toute seule.

Face à ce marasme, Emmanuel Macron, tout puissant et protagoniste de tout depuis son arrivée à l'Elysée en 2017, en est réduit par moments à regarder passer les trains.

"C'est une pièce dont le président n'est ni metteur en scène ni acteur", soupire un conseiller au moment où gauche et droite se rejoignent pour renverser le gouvernement Barnier.

Pourtant, cette pièce, il en est bien l'auteur.

- Psyché présidentielle -

Pour ses opposants comme pour la plupart de ses soutiens, la crise a été déclenchée par sa dissolution de l'Assemblée, cette annonce qui a fait l'effet d'une bombe le 9 juin, au soir d'élections européennes largement remportées par l'extrême droite.

La regrette-t-il aujourd'hui? "Inéluctable" et "nécessaire", "cette décision n'a pas été comprise", "et c'est ma responsabilité", a-t-il fini par lâcher la semaine dernière devant les Français.

On a connu mea culpa plus explicite.

Edouard Philippe, qui a lui "toujours pensé que c'était une mauvaise décision", suggère dans un sourire que venant d'Emmanuel Macron, peu porté sur le repentir, cela s'y apparente tout de même. "Je connais le président, dans la façon qu'il a eu de le dire (...) moi j'ai compris que le président faisait le premier pas pour l'admettre", dit son ex-Premier ministre.

Car depuis que le chef de l'Etat a chamboulé la vie institutionnelle du pays, son propre camp cherche à sonder les profondeurs de la psyché présidentielle dans l'espoir de percer les ressorts de son choix.

Dès le lendemain, il doit répondre à ceux, nombreux, qui jugent qu'il est "fou" de provoquer un tel séisme.

"Pour moi c'est un mystère, cet oxymore entre cette grande intelligence et cette erreur politique majeure qu'est la dissolution", résume, presque désabusé, un ami de la première heure du président.

- "Fiertés françaises" -

2024, ce "millésime français" vanté avec une pointe de grandiloquence par Emmanuel Macron, avait pourtant commencé sous d'autres auspices.

Dans ses voeux de la Saint-Sylvestre, il promettait une "année de détermination, de choix, de régénération" et "d'espérance".

Et une année de "fiertés françaises".

Fierté pour les Jeux olympiques de Paris, ouverts par une cérémonie osée et spectaculaire sur la Seine qui, malgré la pluie, a marqué les téléspectateurs du monde entier. Et fierté pour la réouverture de Notre-Dame, brûlée et reconstruite en cinq ans envers et contre tout.

Des paris fous... et réussis, alors que beaucoup les pensaient intenables.

Des parenthèses enchantées, aussi, mais qui sont restées des parenthèses et n'ont pour l'heure pas redonné des couleurs dans l'opinion à un chef de l'Etat à la cote de popularité au plus bas.

Autre maître-mot de ce mois de janvier 2024: le "réarmement de la Nation", que promet Emmanuel Macron dans ses voeux puis lors d'une grande conférence de presse, en prime time dans la salle des fêtes de l'Elysée.

La formule est soufflée par Jonathan Guémas, la plume des discours présidentiels du premier quinquennat, de retour au palais comme conseiller stratégie et communication pour redonner de l'oxygène à un second mandat déjà en panne. Et elle est déclinée ad nauseam: réarmement économique, industriel, européen, étatique, civique, académique, scientifique, technologique, agricole et même démographique!

- Le plus jeune Premier ministre-

Pour l'incarner, le chef de l'Etat a réussi à surprendre tout le monde: Gabriel Attal, 34 ans, entre à Matignon.

"Le plus jeune président de la République de l'Histoire nomme le plus jeune Premier ministre de l'Histoire", clame l'impétrant.

A grand renfort de communication, les stratèges macronistes esquissent le sens d'une nomination qui doit rimer avec "audace", "dynamisme", "mouvement", "vitesse".

"Vous incarnez le retour aux sources de ce que nous sommes, le dépassement au service du pays, l'esprit de 2017", lance Emmanuel Macron à ses nouveaux ministres. Comme en écho à "Révolution", son livre-programme avant sa première élection, il leur demande d'être des "révolutionnaires", pas "des gestionnaires".

Dans un étonnant mimétisme, le duo exécutif s'adonne au même rythme ternaire pour claironner ses mots d'ordre.

"De l'action, de l'action, de l'action", martèle Gabriel Attal, avant de scander sa priorité pour "l'école, l'école, l'école". "Des résultats, des résultats, des résultats", renchérit Emmanuel Macron, dont l'entourage ajoute: "travail, travail, travail".

Un discours offensif qui, en creux, dit crûment ce que le chef de l'Etat et sa garde rapprochée ont nié vingt mois durant: oui, le second quinquennat manquait jusqu'ici de souffle; oui, le président se sentait comme corseté avec une Première ministre, Elisabeth Borne, qui n'avait pas été son premier choix.

- L'élan retombe -

Mais l'élan retombe. Polémique autour de la nouvelle ministre de l'Education, Amélie Oudéa-Castéra, qui s'enferre dans des explications controversées sur la scolarisation de ses enfants dans le privé. Puis une crise agricole inédite, qui oblige le jeune chef du gouvernement à essuyer les plâtres plus vite que prévu.

La belle entente ne dure pas longtemps entre celui dont les tempes ont blanchi en sept ans de pouvoir et son "petit frère", comme il appellera Gabriel Attal devant des enfants.

Emmanuel Macron juge sévèrement sa gestion de la fronde paysanne, d'autant que lui-même vit une journée plus qu'agitée lors de l'inauguration du traditionnel salon de l'agriculture, accueilli par des syndicalistes remontés à bloc.

Un "marcheur" historique assure qu'il "espérait vraiment qu'Attal prenne toute la lumière... et tous les coups". Mais en fait, dès "le jour où il l'a nommé, Macron a vu la petite lumière qui brille dans les yeux d'Attal et il n'a pas dû le supporter", ironise un vieux routier de la politique.

Du coup, il fustige auprès de ses proches un Premier ministre obnubilé par la "com" et son image, et lui reproche de ne pas s'investir assez vite et assez fort dans la campagne des européennes qui démarre.

- L'Europe "peut mourir" -

Car ce scrutin, il est "existentiel", martèle la macronie, qui a mis l'Europe au coeur de son ADN politique.

Gabriel Attal avait été choisi en partie comme "arme" censée tenir tête à Jordan Bardella, président et candidat du Rassemblement national pour les européennes, mais les sondages sont en berne face à l'extrême droite.

Le président tarde à choisir sa propre tête de liste, essuie le refus de son ex-ministre Jean-Yves Le Drian ou du patron de Bercy Bruno Le Maire.

Il finit par adouber, un peu par défaut, l'eurodéputée sortante Valérie Hayer, sans que la campagne décolle. Emmanuel Macron dégaine donc son "discours de la Sorbonne 2", et dramatise les enjeux.

"Notre Europe est mortelle, elle peut mourir", lance-t-il dans le vénérable amphithéâtre parisien.

Au sein du Vieux Continent, sa voix porte: moqués par certains au début, ses concepts d'autonomie stratégique et de souveraineté européenne ont fait leur chemin dans les esprits des Vingt-Sept.

Mais le président français a aussi semé le trouble auprès de ses alliés de l'Otan, en n'excluant pas, en février, l'envoi de troupes sur le sol ukrainien à l'avenir. Un tabou absolu pour les Etats-Unis et l'Allemagne, qui désavouent ses propos, mais aussi pour l'opinion française et ses opposants hexagonaux, qui en font un argument électoral.

Dans les urnes, le résultat est catastrophique. Le 9 juin, le RN de Jordan Bardella engrange plus que le double des voix de la coalition macroniste, talonnée par Raphaël Glucksmann et les socialistes. L'extrême droite frôle en tout les 40% des suffrages.

- "Cloportes" -

La réponse d'Emmanuel Macron, dans une allocution-surprise, est donc immédiate: il dissout l'Assemblée et convoque des élections législatives anticipées.

Son "conseiller mémoire", Bruno Roger-Petit, convoque le général de Gaulle, Raymond Aron et Pierre Mendès-France pour justifier une décision qui assomme tout le monde, à commencer par Gabriel Attal, mis dans la confidence à la dernière minute. La rupture pour le Premier ministre est consommée avec celui qui l'a nommé.

"On ne se trompe jamais quand on redonne la parole au peuple", assure l'entourage présidentiel, qui mise sur les divisions de la gauche et l'impréparation des adversaires pour "saisir le système", "prendre tout le monde de court" et "gagner".

A ce moment là, Emmanuel Macron "croit franchement qu'il peut gagner", rapporte un proche qui s'est un peu éloigné, sans jamais rompre. "Et il se dit que s'il rate son coup et qu'au fond c'est Bardella" qui devient Premier ministre, "ce n'est pas un drame".

Las, la gauche s'unit en 24 heures, le RN reçoit le renfort inattendu du président du parti Les Républicains Eric Ciotti, tandis que c'est le camp présidentiel qui semble le plus sonné.

Les soutiens d'Emmanuel Macron lui en veulent. Et beaucoup de Français aussi, pour ce début d'été chamboulé alors que se profilaient tranquillement les vacances et les JO.

Dans une vidéo devenue virale, un sympathisant s'emporte auprès de Gabriel Attal, devenu chef de campagne: "Vous, vous êtes bien, mais il faudra dire au président qu'il ferme sa gueule!".

Edouard Philippe, qui vise l'Elysée en 2027, finit de s'émanciper en enfonçant Emmanuel Macron, accusé d'avoir "tué la majorité présidentielle".

Et d'autres ténors de feu cette majorité s'en prennent sans ménagement aux conseillers du chef de l'Etat, soupçonnés d'avoir ourdi la dissolution sans concertation.

"Les parquets des palais de la République sont pleins de cloportes. Le mieux c'est de ne pas les écouter", tance Bruno Le Maire. "Une clique sans expérience politique", renchérit un ancien conseiller, qui regrette l'isolement présidentiel.

- "Trêve olympique" -

A des députés, Emmanuel Macron racontera que ses stratèges lui avaient dit: "t'inquiète pas, on est prêt". "Moi j'appuie sur le bouton et je me retourne: en fait personne n'était prêt."

Les législatives se muent en long chemin de croix pour le président, qui intervient à tout bout de champ alors que son camp lui demande de rester en retrait. Jusqu'à ce long podcast intimiste de 1h49 dans lequel il affirme que le vote pour le RN ou pour La France insoumise, les "deux extrêmes" renvoyés dos à dos, mènerait à "la guerre civile".

"Un chef d'Etat ne doit pas dire ça", s'étrangle un vieil ami du président.

La dissolution devait favoriser une "clarification". C'est l'inverse qui se produit lors du scrutin des 30 juin et 7 juillet: si le parti de Marine Le Pen arrive largement en tête au premier tour, le "front républicain" débouche au second sur une Assemblée sans majorité, coupée en trois blocs.

La gauche, ressoudée au sein du Nouveau Front populaire arrivé en tête contre toute attente, réclame d'accéder à Matignon.

Mais Emmanuel Macron temporise. La dissolution était urgente, la formation d'un gouvernement attendra!

L'équipe Attal, démissionnaire, gère les affaires courantes pendant tout l'été, bien au-delà de la "trêve olympique" décrétée par le président.

Bernard Cazeneuve, Xavier Bertrand, Thierry Beaudet, David Lisnard... les noms valsent pour le poste de Premier ministre et comme souvent, l'homme de l'Elysée a du mal à trancher.

Il se résout finalement à nommer Michel Barnier, un opposant de droite, ex-commissaire et négociateur européen, pour que le gouvernement exhale ce "parfum de cohabitation" promis au vu de la défaite macroniste.

Mais dès sa naissance, et à rebours du "front républicain", la survie du nouvel exécutif dépend du bon vouloir du RN... qui le censurera trois mois plus tard, avec la gauche, laissant le pays sans budget pour 2025.

Encore un raté pour Emmanuel Macron qui avait justifié la dissolution par la menace de censure à l'automne, en plein débat budgétaire. "C'est dix fois pire, c'est la crise totale", expliquait-il en petit comité. "La dissolution c'était pour éviter des crises plus graves", ajoutait-il.

Finalement, il aura les deux crises pour le prix d'une.

publié le 15 décembre à 16h47, AFP

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