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En Bolivie, musique et offrandes pour la fête des crânes

  • Une femme insère une cigarette dans la mâchoire d'une
    ©AIZAR RALDES, AFP - Une femme insère une cigarette dans la mâchoire d'une "ñatita" (câne humain), le 8 novembre 2024 au cimetière général de La Paz, en Bolivie
  • Une femme insère une cigarette dans la mâchoire d'une
    ©AIZAR RALDES, AFP - Une femme indigène prie devant des "ñatitas" (crânes humains) le 8 novembre 2024 au cimetière général de La Paz
  • Une femme insère une cigarette dans la mâchoire d'une
    ©AIZAR RALDES, AFP - Des crânes disposés dans le cimetière de La Paz pendant la fête des "ñatitas", le 8 novembre 2024

Depuis plus de trente ans, tous les 8 novembre, Carmen Rejas se rend au cimetière de La Paz accompagnée des crânes d'Ana et de Susana, ornés de couronnes de fleurs pour célébrer la Fête des "Ñatitas".

Les "ñatitas", comme on appelle localement les crânes humains, sont vénérées dans cette ville de Bolivie majoritairement catholique selon un rite mêlant traditions indigènes et chrétiennes.

Susana était une amie de la famille de Carmen Rejas, une pâtissière de 67 ans. Quant à Ana, elle l'a aidée à élever ses deux enfants. Mme Rejas conserve chez elle les têtes des deux femmes, à qui elle demande de protéger sa famille.

En Bolivie, les corps des défunts sont déposés dans des niches temporaires et sont exhumés au bout de cinq ans. Si personne ne les réclame, ils sont enterrés dans des fosses communes ou donnés.

"Avant, ici, les gens de la mairie déposaient toutes sortes de ñatitas. Elles étaient destinées à l'adoption. Si vous en vouliez une, vous pouviez la prendre", se souvient Mme Rejas. C'est ainsi qu'elle a récupéré les crânes de ses amies mortes.

Les "ñatitas" (littéralement: les "petits nez plats", en référence à l'absence de nez des crânes) sont toujours dotées d'un prénom. Il s'agit souvent du crâne d'un parent ou d'un proche, mais leur origine est parfois plus obscure.

Certains participants à la fête avouent à l'AFP avoir récupéré leurs "ñatitas" en profanant des tombes ou en les achetant sur le marché noir.

- Cigarettes et musique live -

L'origine de cette fête est inconnue, mais elle est très certainement précolombienne.

Selon la tradition populaire, les "ñatitas" assurent protection à la famille, au négoce, apportent santé, prospérité. Mais à condition de les choyer: occupant souvent une place de choix au foyer, on leur parle, on leur offre des fleurs, à manger, à boire. Et un grand hommage leur est rendu au cimetière une fois par an, à l'occasion des célébrations pour les morts qui se déroulent dans toute l'Amérique latine en novembre.

Les crânes se voient offrir fleurs, feuilles de coca, aliments et musique live. Certains sont coiffés de bonnets, d'autres ont une cigarette allumée coincée dans la mâchoire. La plupart des participants aimeraient bien qu'un prêtre vienne bénir leurs "ñatitas", mais l'Eglise catholique voit d'un mauvais oeil cette fête, qu'elle estime contraire à la foi et aux rites chrétiens.

Edgar Santos, un dentiste de 54 ans, est venu avec les têtes de José Maria et d'Alexandra.

Il a obtenu la première quand il était jeune, pour les besoins de ses études universitaires. "Un matin à l'aube, mon frère et moi avons sorti le petit crâne d'une niche vide" dans un cimetière, raconte-t-il. Alexandra a été achetée par sa fille, étudiante en odontologie, pour 100 dollars.

"De nos jours, les cimetières sont plus contrôlés, et il est difficile d'obtenir ces crânes", explique Erika Andara, la directrice du cimetière.

publié le 9 novembre à 02h17, AFP

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