France

Femmes: le budget "genré", nouvel outil contre les inégalités hommes-femmes

Un garçon évolue sur un skatepark à Chelles (Seine-et-Marne), le 2 juin 2020

© FRANCK FIFE, AFP - Un garçon évolue sur un skatepark à Chelles (Seine-et-Marne), le 2 juin 2020

Expérimenté depuis 2020 dans plusieurs grandes villes de France, le budget "sensible au genre" passe au crible les finances locales pour tenter de comprendre comment l'argent public peut contribuer à faire perdurer les inégalités entre les femmes et les hommes, et tente de corriger ces effets.

Appliqué pour la première fois en Australie en 1984 et promu par les institutions internationales (ONU, FMI), le concept a fait des émules dans des pays aussi divers que l'Autriche, l'Inde ou le Rwanda.

Selon le centre Hubertine Auclert, qui a publié un guide pratique sur le sujet, la budgétisation sensible au genre "consiste à se demander si la collecte et la distribution de ressources financières renforcent ou diminuent les inégalités entre les sexes".

S'il est "rare que des publics soient directement exclus, dans la pratique l'usage d'un équipement ou d'un service peut être davantage le fait des femmes (bibliothèque) ou des hommes (terrain de foot)", souligne le centre.

"On peut toujours écrire que l'égalité c'est important mais, au final, c'est bien en regardant les budgets et ce que la politique publique traduit sur le terrain qu'on voit si l'intention tient la route", observe Claudy Vouhé, chargée de mission à l'association L'Etre égale, qui accompagne les collectivités.

A Lyon, la mairie écologiste teste cette méthodologie dans le sport et la culture. Les dépenses ont été classées en trois catégories: "neutres" en termes d'égalité femmes-hommes, "positives" et "susceptibles d'avoir un impact".

"Des études de fréquentation ont montré que nos équipements sportifs extérieurs comme les skateparks ou les aires de fitness étaient majoritairement fréquentés par des hommes", dépeint Sylvie Tomic, adjointe chargée des droits et égalités.

Pour favoriser la pratique féminine, la mairie réfléchit à équiper davantage son espace public en agrès, "plus propices aux femmes". "C'est vraiment un travail dans la dentelle mais ça permet d'interroger nos politiques publiques en profondeur", assure l'élue Génération.s, pour qui la plus grande difficulté a été "l'absence totale d'indicateurs" sur le sujet.

- "Actions correctives" -

A Nantes, la mairie a pris son conservatoire comme objet d'étude. "Quand on voit qu'on n'a quasiment pas de filles pour la pratique d'instruments à cuivre, ça interroge sur ce qui amène à une répartition aussi genrée", souligne Mahaut Bertu, adjointe PS à l'égalité et à la ville non sexiste.

"L'objectif n'est pas d'arrêter les financements qui touchent davantage les hommes mais de mener des actions correctives pour toucher plus de femmes", insiste-t-elle.

La ville a également planché sur son festival de spectacle vivant "Les Scènes vagabondes". Si autant d'artistes masculins que féminins sont bien programmés depuis 2021, les femmes ne représentent que 15% des cachets versés, contre 28% pour les hommes, le reste allant aux groupes mixtes.

"Les femmes négocient moins leurs cachets, elles sont moins connues donc moins rémunérées mais, en tant que collectivité, on a un rôle de rattrapage à jouer", plaide Mme Bertu qui envisage aussi d'acheter davantage d'œuvres de compositrices contemporaines pour compenser le fait qu'elles soient historiquement absentes du répertoire étudié.

A Strasbourg, l'analyse du budget a montré que seules 33% des aides au financement de licences sportives bénéficiaient aux filles, conduisant la ville à lancer une campagne de communication pour inciter les filles à faire du sport.

Plusieurs villes intègrent aussi des critères de genre dans leur commande publique ou conditionnent leurs subventions aux associations.

"Pour l'instant, on ne retire pas de financements, mais on fixe des objectifs de formation ou de parité dans la gouvernance des clubs", explique Claudine Bichet, adjointe aux finances et à l'égalité femmes-hommes de Bordeaux.

"L'enjeu n'est pas d'avoir une parité parfaite partout, mais que chaque individu puisse se déterminer en fonction de son envie et pas d'un schéma de société préétabli", plaide-t-elle.

En 2023, un rapport parlementaire recommandait d'appliquer l'analyse genrée au budget de l'Etat. Interrogée par l'AFP, la nouvelle présidente du Haut conseil à l'égalité (HCE) Bérangère Couillard estime que "tous les ministères doivent être impliqués" et assure vouloir prendre en main le sujet.

Le budget genré "complète d'autres politiques comme la lutte contre les inégalités salariales", reconnaît l'anthropologue Chris Blache. "C'est un outil de réflexion qui permet d'intégrer la question du genre dans l'urbanisme et d'éveiller sur le fait que la ville est inégalitaire", ajoute-t-elle.

publié le 9 novembre à 14h37, AFP

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