Corrida et protection de l'enfance: le Sénat relance un débat sensible
© ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, AFP - Le torero espagnol Morante de la Puebla effectue une passe lors d'une corrida de la Feria du Riz, à Arles, le 10 septembre 2016
Les uns entendent protéger les enfants de scènes "traumatisantes", les autres craignent "la mort" de la tauromachie en France: des débats animés se sont ouverts jeudi au Sénat, sur un projet d'interdiction des spectacles de corrida aux mineurs de moins de 16 ans.
Paradoxe de la vie parlementaire, c'est bien dans la conservatrice "chambre des territoires", dominée par la droite, que ce dossier sensible est remis sur la table, une première au Palais du Luxembourg.
La proposition de loi de la sénatrice macroniste Samantha Cazebonne, qui entend interdire l'organisation de spectacles de corrida en présence d'enfants de moins de 16 ans, paraît promise à un rejet à la chambre haute.
"Est-il acceptable que les mineurs soient témoins de la souffrance d'un être vivant, alors que leur compréhension des valeurs de compassion et de bienveillance est encore en pleine formation? Nous avons le devoir de protéger leur innocence", a lancé l'auteure du texte en ouverture des débats.
Ceux-ci promettent de réveiller quelques clivages entre défenseurs de la cause animale et partisans des traditions locales.
En témoigne l'écho médiatique de ce texte dans les territoires où la tauromachie reste une "tradition locale ininterrompue", les seuls où la corrida est encore autorisée à titre dérogatoire.
L'Union des villes taurines françaises (UVTF) a ainsi multiplié les initiatives pour dénoncer ce texte qu'elle considère comme "une attaque sans précédent" envers la tauromachie.
A l'inverse, les associations et collectifs anticorrida se sont saisies du dépôt de cette proposition de loi pour sensibiliser aux "dangers" de ces spectacles pour les mineurs: une pétition du collectif Protec (Protégeons les Enfants des Corridas) a réuni plus de 40.000 signataires.
"Permettre à un enfant d'assister à une corrida, c'est l'initier à la pratique d'un délit", s'indignent par ailleurs plus d'une centaine d'élus dans une tribune du Midi Libre publiée ces derniers jours.
"Il est de notre devoir d'éduquer les plus jeunes à refuser que la mort soit un spectacle", plaide pour sa part Jacques-Charles Fombonne, président de la SPA.
- "Culture et identité" -
Le texte, transpartisan à défaut de réunir une majorité des sénateurs, est cosigné par des élus de tous bords, y compris issus du puissant groupe Les Républicains du Sénat.
C'est le cas du sénateur du Val-d'Oise Arnaud Bazin, vétérinaire de profession. "Nous parlons ici d'une exposition directe à des spectacles extrêmement violents. Laisser ces spectacles traumatisants se dérouler en présence d'enfants est incohérent avec le reste de notre législation", insiste le parlementaire, très minoritaire au sein du groupe LR.
La quarantaine de sénateurs cosignataires de ce texte se heurte en effet à de vives réticences d'une majorité de leurs collègues. L'examen en commission la semaine passée l'a déjà prouvé, avec un large rejet de la proposition de loi.
Cette proposition "bafoue les libertés locales, nie le rôle des parents dans l'éducation des enfants et veut les empêcher de leur transmettre une culture et une identité", s'est indigné sur X Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques.
Divers arguments juridiques sont également avancés pour justifier un rejet, comme les sanctions prévues par le texte, pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.
"Sanctionner un organisateur de spectacle pour la présence d'un jeune dans le public est complètement incohérent", note Louis Vogel (Horizons), rapporteur sur ce texte.
Le sénateur fait également remarquer une "incohérence" dans la proposition de loi, qui aurait selon lui "permis aux écoles de tauromachie d'accueillir des enfants, tout en leur interdisant d'assister aux spectacles".
Ces débats interviennent deux ans après l'examen écourté d'un autre texte du député apparenté LFI Aymeric Caron, qui voulait, lui, interdire totalement la corrida. L'Assemblée nationale n'était jamais passée au vote sur cette proposition de loi.
publié le 14 novembre à 17h24, AFP