Politique

Corrida et protection de l'enfance: le Sénat s'oppose à l'interdiction pour les mineurs

Le torero espagnol Morante de la Puebla effectue une passe lors d'une corrida de la Feria du Riz, à Arles, le 10 septembre 2016

© ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, AFP - Le torero espagnol Morante de la Puebla effectue une passe lors d'une corrida de la Feria du Riz, à Arles, le 10 septembre 2016

Le Sénat a largement repoussé jeudi un texte d'interdiction des spectacles de corrida aux mineurs de moins de 16 ans, au terme d'un débat qui a ravivé les clivages entre protecteurs des traditions locales et défenseurs de la cause animale.

Les uns entendaient protéger les enfants de scènes "traumatisantes", les autres craignaient "la mort" de la tauromachie en France... Et ce sont ces derniers qui ont eu gain de cause à la chambre haute, avec un rejet voté à 237 voix contre 64, dans un hémicycle clairsemé.

Une issue loin d'être inattendue dans la "chambre des territoires", dominée par la droite et les centristes. D'autant que le gouvernement était lui aussi défavorable à cette proposition, comme l'essentiel du groupe communiste et la moitié du groupe socialiste.

Le texte de la sénatrice macroniste Samantha Cazebonne entendait interdire l'organisation de spectacles de corrida en présence d'enfants de moins de 16 ans, au nom de la "protection de l'enfance".

"Est-il acceptable que les mineurs soient témoins de la souffrance d'un être vivant, alors que leur compréhension des valeurs de compassion et de bienveillance est encore en pleine formation? Nous avons le devoir de protéger leur innocence", a lancé l'auteure du texte.

Cette dernière avait reçu ces derniers jours le soutien de nombreux élus, de la SPA et d'associations et collectifs anticorrida.

"Une fois encore, la France a raté l'occasion de se mettre en conformité avec les recommandations du comité des Droits de l'Enfant (de l'ONU), qui a recommandé d'interdire l'accès des mineurs aux spectacles de tauromachie", a regretté auprès de l'AFP Claire Starozinski, présidente de l'Alliance anticorrida.

Mais le camp des défenseurs de la tauromachie a lui aussi été largement appuyé, avec un écho médiatique non négligeable dans les territoires où les corridas restent une "tradition locale ininterrompue", les seuls où cette pratique est encore autorisée à titre dérogatoire.

"En considérant que seuls les parents ont le droit d'inclure ou pas la culture taurine dans l'éducation de leurs enfants (...) le Sénat a franchi une étape importante sur le chemin de la protection définitive de la corrida en France", a salué l'Union des villes taurines françaises (UVTF).

- "Respectons notre culture" -

Ces arguments ont été repris très largement sur les bancs du Sénat. "Respectons nos identités, respectons notre culture et laissons aux parents le choix de (la) transmettre !", a ainsi lancé le sénateur LR du Gard Laurent Burgoa.

Le ministre de la Justice Didier Migaud a eu lui une lecture plus juridique de cette proposition, qu'il a jugée disproportionnée. "L'État ne doit pas intervenir (sur l'autorité parentale) sous peine de se montrer paternaliste, voire invasif, et in fine de déresponsabiliser les parents", a-t-il justifié.

Les sanctions prévues par le texte, pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende, ont également été épinglées, tout comme la responsabilisation des organisateurs plus que des mineurs ou des familles elles-mêmes.

"Sanctionner un organisateur de spectacle pour la présence d'un jeune dans le public est complètement incohérent", a ainsi noté Louis Vogel (Horizons), rapporteur sur ce texte.

Plusieurs voix ont par ailleurs craint des répercussions économiques locales. "Priver de spectacles les familles qui souhaitent s'y rendre, parfois par passion, mais simplement aussi par curiosité ou pour se forger une opinion, c'est aussi priver ces territoires d'une attractivité particulière", a noté la communiste Cécile Cukierman.

Mais les débats ont largement dépassé le volet de la protection de l'enfance, certains élus accusant les auteurs du texte d'avoir comme "véritable cible" la corrida en elle-même.

"Plus habilement qu'en prônant l'interdiction totale, (ce texte) poursuit les mêmes visées: empêcher toute transmission aux jeunes générations et donc condamner la corrida à une mort certaine", s'est indigné le sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques Max Brisson.

Signe de la sensibilité du débat, la discussion intervenait deux ans après l'examen écourté d'un autre texte du député apparenté LFI Aymeric Caron, qui voulait, lui, interdire totalement la corrida. L'Assemblée nationale n'était jamais passée au vote sur cette proposition de loi.

publié le 14 novembre à 20h30, AFP

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