Politique

Au Hellfest, avant les élections, metal et politique s'entremêlent

Avant de prendre la route du Hellfest et d'enfiler son chapeau de viking à deux cornes, Jean-Philippe Guillaud a pris soin de remplir une procuration. Metalleux "depuis toujours", électeur "de gauche", il suivra le résultat des élections législatives en plein concert.

Dans son "microcosme musical", on vote "plutôt à gauche" mais lui ne préfère pas tracer de généralité. "Le metal rassemble parce qu'il sort des sentiers battus. C'est un univers des marges, hors normes, qui rassemble des gens de couleurs politiques différentes", affirme cet agent immobilier de 53 ans, barbe grise nouée par un élastique.

Fidèle du festival de metal de Clisson (Loire-Atlantique) depuis 10 ans, amateur de rock "depuis toujours", il note que "beaucoup de groupes" de cet univers musical sont "engagés", évoquant dans leurs morceaux "le partage, la répartition, des questionnements sur la société, sur l'individualisme". "Des thèmes plutôt marqués à gauche", relève-t-il.

Sur scène cette année, il y aura samedi Lofofora, qui chante dans un titre récent que "le racisme et les pesticides, c'est ça qui empoisonne" et qu'il aimerait "trancher à la machette les privilèges et les frontières".

Programmé plusieurs fois au Hellfest, le groupe Gojira conjugue depuis plus de 20 ans succès musical et profond engagement pour la cause écologique.

A rebours de "certaines idées reçues" qui ancreraient le metal du côté de la droite et de l'extrême droite, les études de l'anthropologue Corentin Charbonnier relèvent chez les metalleux une tendance politique plutôt marquée à gauche.

D'après ses travaux, 3% des festivaliers du Hellfest et de Motocultor à Carhaix dans le Finistère, votaient pour l'extrême droite en 2019. 40% d'entre eux déclaraient voter à gauche ou à l'extrême gauche.

- "Le rock emmerde le RN" -

Parmi le public du Hellfest, Corentin Charbonnier note une prépondérance des cadres, qu'il lie au prix des pass, vendus cette année 329 euros pour quatre jours. Le metal, lui, "transcende les classes sociales".

"Il y a quelques années, les syndicats venaient tracter au Hellfest, ce n'est pas un hasard", affirme-t-il.

A quelques jours des élections législatives, 230 artistes, plus de 70 labels et plusieurs dizaines de médias et organisations de la scène française ont signé une tribune intitulée "Le rock emmerde le RN", appelant à "faire barrage contre une idéologie allant à l'encontre de tout ce (qu'ils défendent)".

L'appel a été signé par la fédération des musiques métalliques.

Au Hellfest, casquette siglée et logo du festival en boucles d'oreilles, Julie Estephe explique avoir signé une procuration avant de partir car "on peut faire pire que la situation actuelle". "Et en tant que femme, certains droits restent précaires", glisse-t-elle.

"Le metal a des messages à faire passer et le public est là. Les fachos s'y expriment moins", remarque cette festivalière.

- Slogans -

Si elle croise des concerts "fachos ou polémiques", la jeune femme de 36 ans les évite. Elle cite en exemple celui du groupe russe Slaughter to Prevail, programmé jeudi, dont le chanteur a été soupçonné de sympathies néonazies.

L'an dernier, une polémique était née de la programmation d'artistes poursuivis sur fond de violences conjugales, comme Johnny Depp, guitariste des Hollywood Vampires, ou Tommy Lee, batteur de Mötley Crüe, condamné en 1998 pour violences conjugales sur son ex-femme Pamela Anderson. Ce qui n'avait pas empêché le festival d'ovationner ces artistes sur scène.

Un gobelet de bière à la main, Sullivan Bretin explique voter dimanche par procuration pour faire "front contre le RN".

Le jeune homme de 23 ans trouve "intéressant que les groupes prennent position": "Cela peut faire réfléchir, provoquer des discussions."

Assis dans l'herbe, t-shirt siglé "Hellfest 2022", Christophe Gras, 44 ans, estime de son côté qu'"aucun candidat ne se démarque". En concert, il relève que les slogans lancés depuis la scène sont "le plus souvent anti-RN".

Quand on ne connaît pas le metal, "on peut avoir l'impression que les chanteurs crient", dit Jean-Philippe Guillaud. "Mais derrière il y a un discours. Un discours souvent engagé."

publié le 28 juin à 12h50, AFP

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