Politique

Marine Le Pen, le goût d'être devenue incontournable

Marine Le Pen entourée de journalistes à l'Assemblée nationale à Paris le 2 décembre 2024

© STEPHANE DE SAKUTIN, AFP - Marine Le Pen entourée de journalistes à l'Assemblée nationale à Paris le 2 décembre 2024

En s'apprêtant à voter la censure du gouvernement de Michel Barnier, Marine Le Pen goûte l'étendue de son pouvoir de nuisance envers l'exécutif et réclame plus que jamais les égards qu'elle estime dus à une cheffe de l'opposition.

Enfin la consécration, ou presque. "Mme Marine Le Pen l'a rappelé au Premier ministre": sur le communiqué de Matignon lundi midi revenant sur le déremboursement des médicaments, elle est non seulement citée, mais s'impose en plus comme le sujet.

Pour annoncer qu'il accédait à sa demande, Michel Barnier a ajouté les formes au fond. Une manière de témoigner du "respect" tant réclamé par la cheffe de l'extrême droite, a fortiori depuis que le groupe qu'elle préside à l'Assemblée nationale est devenu le plus fourni de l'hémicycle.

Marine Le Pen savoure. Mais ne lâche pas, convaincue que ces nouveaux égards sont autant de preuves de son pouvoir de nuisance, et donc de la crainte qu'il peut inspirer: après des échanges téléphoniques avec le chef gouvernement, elle lance le compte à rebours de son éviction. Le temps au moins de cette législature, les successeurs seront prévenus.

Après être apparue comme celle qui avait validé le nom de Michel Barnier pour sa nomination, puis obtenu que le nouveau chef du gouvernement prenne la peine de l'appeler quand le ministre de l'Economie l'eut publiquement exclue de "l'arc républicain", Marine Le Pen peaufine sa stature d'incontournable interlocutrice.

Quitte à en réclamer toujours davantage: "C'est quand même au gouvernement ultra minoritaire d'inviter le premier groupe de l'Assemblée nationale à venir potentiellement discuter du budget plutôt qu'à moi d'aller demander au Premier ministre comment faire pour ne pas le censurer", ruminait-elle encore il y a trois semaines.

Mardi, elle concentrait les attaques de l'exécutif: Emmanuel Macron a fustigé le "cynisme insoutenable" du RN depuis l'Arabie saoudite et Michel Barnier a déploré sur TF1 et France 2 qu'elle soit entrée "dans une sorte de surenchère".

Mais quand l'entourage du locataire de Matignon assure que "la garde rapprochée" de Marine Le Pen a refusé "à trois reprises des opportunités de rencontres" à Matignon, le parti à la flamme voit rouge: "la première prise de contact avec le cabinet de Michel Barnier a eu lieu le 8 novembre à notre demande".

"Après les premières discussions, il nous a été répondu que +l'agenda du Premier ministre était très tendu+ et qu'il serait difficile de recevoir Marine Le Pen. C'était il y a près d'un mois", poursuit l'entourage de la patronne, pour mieux se plaindre d'un traitement de défaveur dont ils s'estiment victimes.

- "Trace indélébile" -

Car le mouvement d'extrême droite, qui s'est longtemps complu dans une forme de marginalité, a depuis théorisé son institutionnalisation.

Après une législature 2022-2024 lors de laquelle le RN a éprouvé une "stratégie de la cravate" - en miroir de celle de "bordélisation de l'hémicycle" revendiquée par une partie de La France insoumise -, la situation politique née de la dissolution devait l'installer comme faiseur de roi. Voire défaiseur.

Mais, si les députés RN devaient censurer mercredi le gouvernement Barnier, Marine Le Pen prend le risque de faillir à sa promesse de responsabilité aux yeux de l'opinion publique, préalable à une quatrième candidature à l'Elysée.

"Le coût pour (elle) est très cher par rapport à sa stratégie de conquête de l'électorat modéré: c'est en rupture avec tout ce qu'elle fait depuis dix ans et ça peut être une trace indélébile. Elle va devoir expliquer qu'elle vote contre ce qu'elle a demandé et obtenu", observe un familier d'Emmanuel Macron.

Un conseiller de Matignon rappelle, lui, que le RN a obtenu "le plus de gains politiques" dans les projets de budgets. "Elle casse le pays, sans plan derrière", fustige le même, alors que le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a estimé que la triple candidate à la présidentielle "s'enferme dans une logique de chaos" et "montre qu'elle n'a d'autre objectif que son agenda personnel".

Reste que, sans dissolution possible avant juillet, Marine Le Pen s'ancre au centre du jeu pendant au moins sept mois.

Sauf à la constitution d'un nouveau "socle commun", davantage solide? "Je ne renonce pas à l'idée qu'on puisse agripper une partie de la gauche", assurait mardi un ponte du MoDem. "Comme ça, il en sera fini du chantage de Marine Le Pen".

publié le 3 décembre à 21h42, AFP

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