France

La censure du gouvernement, le va-tout risqué de Marine Le Pen

Marine Le Pen, présidente du groupe des députés du Rassemblement national, répond aux questions de journalistes à l'Assemblée nationale à Paris, le 2 décembre 2024

© STEPHANE DE SAKUTIN, AFP - Marine Le Pen, présidente du groupe des députés du Rassemblement national, répond aux questions de journalistes à l'Assemblée nationale à Paris, le 2 décembre 2024

En apportant leurs voix, décisives, à la censure du gouvernement, Marine Le Pen et les siens jouent leur va-tout: si elle est réclamée par les sympathisants RN, la chute annoncée de Michel Barnier comporte d'innombrables inconnues qui pourraient se retourner contre ses instigateurs.

Le "miracle", évoqué lundi matin par Jordan Bardella et qui aurait pu faire changer d'avis les lepénistes, n'est pas survenu: "Nous voterons la censure du gouvernement", a confirmé dans l'après-midi la cheffe des députés du Rassemblement national, après que le Premier ministre a utilisé quelques minutes plus tôt l'article 49.3 de la Constitution sur le budget de la Sécurité sociale.

Afin de lever toute ambiguïté, la triple candidate malheureuse à la présidentielle a précisé que ses troupes voteraient l'ensemble des motions, "d'où (qu'elles) viennent", y compris celle de l'alliance de gauche du Nouveau Front populaire.

Avec ses quelque 120 députés, c'est donc bien le Rassemblement national qui apporte les voix nécessaires pour atteindre la majorité de 288 "pour" renverser le gouvernement - le NFP, qui compte pour sa part un peu moins de 200 membres, avait pu mesurer son impuissance lorsqu'il avait tenté une manœuvre similaire début octobre, sans parvenir à rallier d'autres forces politiques.

Le parti à la flamme entend ainsi présenter comme un trophée la chute du Premier ministre - qui devrait intervenir mercredi ou jeudi. Pour la première fois de son histoire quinquagénaire, le Front national devenu Rassemblement national peut se targuer d'un pouvoir direct et tangible sur "le système" tant pourfendu, marque de sa toute-puissance dans une Assemblée sans majorité.

La jubilation de ce triomphe en vaut-elle pour autant la chandelle? Non, avaient jusqu'alors estimé la majeure partie des cadres du mouvement, Marine Le Pen en tête, qui préféraient faire de la nomination de Michel Barnier l'occasion de faire du Premier ministre un obligé.

Les promesses d'écoute du nouveau chef du gouvernement, voire de négociation, telle que l'avait espéré la députée d'Hénin-Beaumont, devaient encore participer à la respectabilisation d'un RN. Lequel pouvait se targuer de son influence, Michel Barnier cédant tour à tour sur deux revendications: les prix de l'électricité et le déremboursement des médicaments.

- Protestataire -

En se résolvant à changer de stratégie, les lepénistes ont juré en mesurer les risques.

Pressés par leur base électorale de renverser Michel Barnier, ils ont toutefois longtemps estimé que l'emploi de cette arme suprême pouvait enrayer leur stratégie de conquête vers la droite traditionnelle, soucieuse de stabilité, d'abord économique.

"On considère qu'on met plutôt fin au chaos tel qu'il est aujourd'hui", estimait lundi un proche de Marine Le Pen, selon qui l'épouvantail d'une crise financière, brandi par les soutiens du gouvernement, "a beaucoup moins marché que ce qu'on aurait pu craindre".

Reste que la décision de censurer renvoie à la fonction éternellement protestataire du RN, que seule une minorité de Français (44%) juge d'ailleurs "capable de gouverner le pays", selon une étude Ipsos parue lundi.

Jusqu'à la dernière minute, Mme Le Pen avait d'ailleurs voulu apparaître comme force de proposition, conditionnant son pouce levé à d'ultimes concessions réclamées à M. Barnier. En vain.

En faisant le pari de la rupture, la formation d'extrême droite devient désormais de fait comptable de l'incertitude dans laquelle le pays s'apprête à plonger.

Que peut-elle désormais espérer d'un futur gouvernement ? Comment sortir son épingle du jeu ?

"Un Premier ministre de gauche, c'est pas bien pour le pays mais ça nous met au centre du jeu et disloque le bloc central. Ça peut rattraper un certain nombre de gens qui sont plutôt à droite et qui se disent on bascule sur Marine Le Pen qui est la seule qui peut nous préserver face à la gauche", anticipe un haut cadre du parti.

Et, si elle jure ne pas réclamer officiellement le départ d'Emmanuel Macron, Marine Le Pen l'esquisse: "lorsqu'il qu'il existe une crise politique grave, le président de la République a trois possibilités, le remaniement, la dissolution et sa démission". En prenant soin de rappeler que les deux premières ont déjà été purgées.

Au RN, si on se prend à rêver d'un big-bang présidentiel anticipé, on espère qu'il interviendra avant le 31 mars: la date prévue du jugement du tribunal correctionnel qui, s'il suivait les réquisitions du parquet, pourrait condamner Mme Le Pen à une inéligibilité avec effet immédiat.

publié le 2 décembre à 18h59, AFP

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