Assassinat de Samuel Paty: un accusé reconnaît avoir commis "l'irréparable"
© STEPHANE DE SAKUTIN, AFP - "Je ne suis pas un terroriste", a clamé le 2 décembre 2024 Brahim Chnina, l'auteur des premiers messages et des premières vidéos stigmatisant Samuel Paty
"Je ne suis pas un terroriste", a clamé lundi Brahim Chnina, l'auteur des premiers messages et des premières vidéos stigmatisant le professeur Samuel Paty, décapité par un jeune islamiste radical d'origine tchétchène le 16 octobre 2020.
Pour autant, a reconnu l'accusé devant la cour d'assises spéciale de Paris, "ce que j'ai fait est irréparable et impardonnable".
Des dizaines de fois au cours de son interrogatoire, le père de la collégienne dont le mensonge a déclenché une campagne de haine contre le professeur d'histoire-géographie, dira: "je regrette".
En pull blanc sur une chemise bleue foncée, amaigri, l'air fatigué, les cheveux blancs et faisant beaucoup plus que ses 52 ans, Brahim Chnina est poursuivi pour association de malfaiteurs terroriste. Il encourt 30 ans de réclusion criminelle.
Les 7 et 8 octobre, il a publié des messages et des vidéos dénonçant Samuel Paty comme un professeur "voyou". Il n'a pas hésité à livrer le nom du professeur et l'adresse de son collège sur les réseaux sociaux suscitant des réactions violentes.
Le président Franck Zientara lit quelques messages de ses correspondants: "Il faut le punir", "Il faut lui briser le dos", "Je peux avoir l'adresse de ce fils de pute"...
L'enquête a révélé qu'entre les 9 et 13 octobre il a eu neuf contacts téléphoniques avec Abdoullakh Anzorov, l'assassin de Samuel Paty. "Mais je ne l'ai jamais rencontré", insiste M. Chnina.
"Je regrette infiniment ce que j'ai fait. Je regrette beaucoup. Je ne suis pas un terroriste et je ne fais pas partie d'une association de malfaiteurs en lien avec le terrorisme. C'est vrai que j'ai fait une vidéo et je regrette que ça a mal tourné", explique l'accusé.
"Je ne suis pas radicaliste (sic). Ma pratique de l'islam est comme celle de tous les musulmans de France", poursuit Brahim Chnina, qui s'est pourtant associé avec le prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, fondateur du collectif pro-Hamas Cheikh-Yassine (dissous le 21 octobre 2020), pour cyberharceler Samuel Paty.
Egalement dans le box des accusés, M. Sefrioui doit être interrogé par la cour mardi.
"Sans Sefrioui ça ne se serait pas passé comme ça", estime Brahim Chnina, qui s'empresse d'ajouter "mais je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Je suis responsable".
"Pensez-vous avoir contribué à provoquer ce qui s'est passé ?", lui demande le président Zientara.
"Avec la vidéo et les messages que j'ai faits, oui", concède l'accusé.
"Je suis triste d'avoir mis M. Paty dans cette situation-là, ça n'était pas du tout mon but. Si j'avais su qu'il y avait des individus menaçants, peut-être que j'aurais pu faire quelque chose pour aider M. Paty, explique-t-il d'une voix lasse.
- "Tout s'est emballé" -
"Je présente toutes mes excuses, sincères, du fond du coeur, à M. Paty (...). Peu importe la sentence que vous allez me mettre. Je regrette du fond du coeur et je suis atteint à vie", poursuit-il.
Au-delà de l'affliction affichée, Brahim Chnina ne manque pas de s'apitoyer sur son sort.
"Après la décapitation de M. Paty, il y a eu beaucoup de menaces de mort contre moi", dit-il. Il évoque ses problèmes de santé, son isolement en prison. "Mon nom est jeté en pâture, Brahim Chnina, Brahim Chnina, Brahim Chnina... C'est arrivé à Samuel Paty, ça peut arriver à tout le monde", insiste-t-il.
Il met également en cause la principale du collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) où travaillait Samuel Paty. "Si elle m'avait dit tout de suite que ma fille avait menti et n'était pas en cours, j'aurais peut-être fait marche arrière (...). Si elle l'avait fait, M. Paty serait encore en vie", dit-il avec aplomb.
La principale a reçu MM. Chnina et Sefrioui dans son bureau le 8 octobre. Les deux hommes, "énervés" comme l'a reconnu M. Chnina, avaient alors menacé d'organiser "une manifestation de musulmans" devant le collège pour dénoncer la prétendue "discrimination" subie par la fille de M. Chnina, alors âgée de 13 ans.
Malgré ses appels répétés à la haine, "je n'ai pas cherché à faire une fatwa", soutient Brahim Chnina. "Malheureusement, tout s'est emballé et ça s'est mal passé", dit-il.
Dans la salle d'audience des "grands procès", de nombreux membres de la famille Chnina ont pris place sur les bancs du public. Ils ne lâchent pas leur proche des yeux.
Le procès est prévu jusqu'au 20 décembre.
publié le 2 décembre à 20h28, AFP