Prévenir la détresse des agriculteurs, le combat d'une cellule de la MSA
Pantins désarticulés en bleu de travail paysan, les faux pendus, attachés aux ponts ou aux bras des pelleteuses, se sont multipliés lors des dernières manifestations agricoles, devenant un symbole du mal-être de la profession.
Le suicide, Dominique Pene, éleveur de 53 ans, assure ne plus y penser aujourd'hui. Mais il y a cinq ans, il a dû faire appel à la cellule de "prévention du mal-être" de la MSA, l'organisme de sécurité sociale des agriculteurs.
Dans un coin reculé des Hautes-Pyrénées, l'agriculteur contemple le Montaigu, pic qui surplombe son exploitation. C'est là, dans "sa" montagne, qu'il se réfugie en cas de vague à l'âme.
"Je ne me cache pas que j'ai eu l'envie de suicide", dit-il à l'AFP.
Se confier ravive l'émotion chez cet éleveur trapu aux yeux bleu-vert, qui écrase une larme. "Désolé."
Levé chaque jour aux aurores, il nourrit et soigne ses 76 vaches Aubrac, nettoie leurs boxes et rentre la paille pour l'hiver. Puis reste la paperasse, le tout sans vraies vacances ni week-end, dit-il, quelques brins de paille accrochés à son gilet marron.
En 2019, cet agriculteur installé à Germs-sur-l'Oussouet, près de Lourdes, a le sentiment de perdre pied quand, à son quotidien de labeur, s'ajoutent des "soucis de trésorerie". Il demande alors de l'aide à la Mutualité sociale agricole (MSA).
- "J'étais pas bien" -
"L'assistante sociale a vu que j'étais pas bien, et elle a contacté Joëlle."
Joëlle Dupuy coordonne la cellule prévention du mal-être de la MSA Midi-Pyrénées-Sud qui couvre quatre départements.
Fin 2024, c'est une centaine d'agriculteurs qu'elle accompagne, certains depuis des mois, d'autres des années.
Pourtant, la plupart des exploitants font la grimace quand on évoque la MSA, plus connue pour les cotisations qu'il faut lui verser. Au point que cette année, ses bureaux de Nîmes ont été attaqués et ceux de Narbonne incendiés.
Concrètement, la cellule propose aux agriculteurs les plus en difficulté de voir gratuitement un psychologue ou de rééchelonner les cotisations.
Acculés, 529 agriculteurs se sont donné la mort en 2016 en France, selon le dernier rapport de la MSA.
Pour les agriculteurs qui "ont toujours fonctionné comme des Superman", le pépin médical fait souvent "vaciller tous les piliers existentiels", note Joëlle Dupuy.
Chez Dominique Pene, l'enjeu était de le convaincre de laisser de côté son orgueil pour faire reconnaître un handicap consécutif à deux gros accidents et ainsi devenir éligible à une aide de la MSA pour acheter un "valet de ferme", petit chariot mécanisé à tout faire, pour 32.000 euros.
Un tiers des personnes accompagnées sont concernées par ce type de problématique de santé, ajoute Joëlle Dupuy.
"C'est une vie que l'on passe au travail", explique aussi la psychologue Corina Claude, qui suit depuis 15 ans des agriculteurs envoyés par la MSA. "Quand on n'arrive plus à bien travailler, il est difficile de ne pas perdre son estime de soi."
La thérapeute s'efforce donc d'"aider la personne à garder du recul, à ne pas sombrer, se dire que même si ce projet-là se termine, par exemple une exploitation qui doit fermer, il y a quand même du sens à avoir tellement investi là-dedans".
Elle évalue systématiquement chez ces patients le risque suicidaire, accru par la présence fréquente au domicile de fusils de chasse. En cas d'idées noires, elle rappelle le numéro national de prévention du suicide (3114) et celui de la ligne Agri'écoute (0969392919). Voire prévient les pompiers si le danger est imminent.
- "Accueillir la détresse" -
Parfois, comme pour Soetkin Van Hée, apicultrice de 44 ans, la cellule envoie un ouvrier agricole pour donner du répit.
Après quelques bonnes années, les récoltes de l'agricultrice à Seix (Ariège) avaient décliné: "J'étais en panique", raconte-t-elle. Prise au piège des crédits à rembourser au début des années 2020, "tout se resserrait autour de moi, je ne savais pas quoi faire."
Elle contacte alors la cellule. Et Joëlle Dupuy parvient à "accueillir la détresse dans laquelle j'étais". Ensuite, "tout va très vite": la cellule l'exempte de ses cotisations pour l'année, l'oriente vers un psychologue et lui propose un ouvrier agricole pour 7 jours.
Aujourd'hui, Dominique Pene continue de gravir le Montaigu. "Je m'en vais à la montagne", dit-il à sa compagne Magaly, qui comprend qu'il a besoin de "faire le vide complet".
Là-haut, il "écoute le silence. La cloche des vaches, des moutons, le vent, les oiseaux, et tout ça rentre dans une thérapie". "Ils me l'ont sauvé", résume Magaly.
publié le 23 décembre à 17h37, AFP