France

Trois ans de prison pour un tag: Théo Clerc, "otage diplomatique" français en Azerbaïdjan

  • Photo non datée, diffusée par la famille le 12 décembre 2024, du peintre et street-artist français Théo Clerc sur un toit de l'Avenida 9 de Julio, à Buenos Aires, en Argentine
    ©Handout, AFP - Photo non datée, diffusée par la famille le 12 décembre 2024, du peintre et street-artist français Théo Clerc sur un toit de l'Avenida 9 de Julio, à Buenos Aires, en Argentine
  • Photo non datée, diffusée par la famille le 12 décembre 2024, du peintre et street-artist français Théo Clerc sur un toit de l'Avenida 9 de Julio, à Buenos Aires, en Argentine
    ©Handout, AFP - Photo diffusée par la famille du peintre et street-artist français Théo Clerc réalisant un tag sur un camion à Paris en 2018
  • Photo non datée, diffusée par la famille le 12 décembre 2024, du peintre et street-artist français Théo Clerc sur un toit de l'Avenida 9 de Julio, à Buenos Aires, en Argentine
    ©Handout, AFP - Photo diffusée par la famille du peintre et street-artist français Théo Clerc réalisant un tag sur un camion à Paris en 2018

"S'il avait été allemand, il serait reparti depuis longtemps", soupire le frère de Théo Clerc, un graffeur français condamné à trois ans de prison pour avoir fait un tag sur un métro de Bakou, alors que les relations entre la France et l'Azerbaïdjan sont exécrables.

Agé de 38 ans, ce peintre de décors de cinéma et de défilés de mode, street artist reconnu, est emprisonné depuis bientôt neuf mois dans une cellule azerbaïdjanaise.

Lundi doit se tenir son procès en appel, après qu'un tribunal l'a jugé en première instance coupable de "dégradation de biens publics" et "hooliganisme" et condamné à trois années de détention.

Une peine extrêmement lourde pour avoir, fin mars, pénétré dans le métro de Bakou en compagnie de deux autres graffeurs et tagué des wagons.

"Nous avons juste grimpé le mur (d'enceinte, NDLR). C'était simple", raconte l'un des deux street artists qui, avec Théo Clerc, avait visité l'Arménie et la Géorgie, avant d'arriver ensemble en Azerbaïdjan, dernière étape de leur voyage dans le Caucase.

Et cet homme d'expliquer que les métros de l'ex-bloc communiste constituaient une cible de choix pour leur petit groupe car ils sont tous "presque identiques" et font l'objet d'"une interdiction stricte" au public. Un interdit générateur d'adrénaline, qui démultiplie l'intérêt de les taguer, poursuit l'artiste, qui requiert l'anonymat.

En cas d'arrestation, les trois hommes pensaient en outre ne "pas risquer d'emprisonnement, juste une amende", écrit-il encore à l'AFP. "Nous n'avions pas réalisé combien le système était bancal si quelque chose devait se produire."

- "Injustice" -

Théo Clerc et ses deux compères sont ainsi interpellés à leur hôtel au lendemain de leurs tags et placés 24 heures en garde à vue. Une courte détention assortie d'une amende de 3.000 dollars chacun.

"Théo, comme les deux autres" jouent un peu au "jeu du chat et de la souris avec la police et les autorités", remarque son frère Charlie Clerc. "Ils font quelque chose qu'ils savent n'être pas autorisé" mais "acceptent les sanctions" s'ils se font attraper, ajoute-t-il.

Le lendemain de leur libération, la police revient toutefois arrêter Théo Clerc, pour ne plus le relâcher.

Dans le même temps, les deux autres graffeurs, Australien et Néo-zélandais, sont laissés en liberté jusqu'à leur procès, leur passeport leur étant confisqué. Ils seront au final condamnés à payer une autre amende de 3.000 dollars puis autorisés à quitter l'Azerbaïdjan.

"L'injustice est réelle", déplore Charlie Clerc, pour qui son frère "paie les relations qu'on (Paris, NDLR) entretient avec l'Azerbaïdjan. Il n'y a pas de secret là-dessus."

Théo Clerc est un "otage diplomatique", "pris au piège" des "mauvaises relations entre la France et l'Azerbaïdjan, qui ne font que se détériorer", abonde l'avocate du graffeur Margot Fontaine.

Les tensions entre les deux pays se sont exacerbées depuis la reprise de contrôle de l'enclave du Haut-Karabakh par Bakou à l'issue d'une offensive éclair, en septembre 2023, ayant provoqué l'exode de plus de 100.000 Arméniens.

- "Hooliganisme" -

Bakou reproche le soutien de Paris à l'Arménie tandis que les autorités françaises accusent l'Azerbaïdjan d'ingérence dans ses territoires d'outre-mer, des allégations rejetées par Bakou.

Ni le président Emmanuel Macron ni un quelconque membre du gouvernement français ne se sont rendus à la COP29 pour le climat en novembre à Bakou, que l'Azerbaïdjan accuse Paris d'avoir appelé à boycotter, ce que la France récuse.

Dans le même temps, un autre Français, Martin Ryan, est actuellement détenu en Azerbaïdjan, accusé d'espionnage. Des allégations "catégoriquement" rejetées par Paris.

Un troisième Français est, lui, interdit depuis juillet de quitter l'Azerbaïdjan, une mesure qualifiée d'"arbitraire" par la diplomatie française qui, samedi, a indiqué à l'AFP en avoir demandé "à plusieurs reprises" la levée.

Charlie Clerc pourrait, lui, se rendre lundi à Bakou pour soutenir "moralement" son frère si sa peine est confirmée, ou pire, alourdie.

Car l'infraction de "hooliganisme" retenue contre lui, soit "porter atteinte aux intérêts de l'Etat (azerbaïdjanais) ou manquer de respect à la société", des faits généralement reprochés aux "opposants du régime", est passible de cinq années de prison, relève son avocate Me Fontaine, très inquiète.

Pour autant, ajoute-t-elle, les tags peints à Bakou, qui représentaient des "lettres correspondant à leurs noms d’artistes", étaient "dénués de tout caractère politique ou obscène".

Son client encourt également jusqu'à sept ans de détention pour les dégradations qui lui sont reprochées, rappelle l'avocate.

Si l'état de santé de Théo Clerc s'est depuis lors amélioré, Charlie se souvient encore de sa première visite en prison.

"Il était extrêmement stressé", raconte-t-il, avec "plein de tics nerveux, des trous de mémoire". "Il parlait de choses qui n'avaient pas de sens. Il me disait qu'il fallait bien prendre le courrier chez lui, arroser ses plantes, des choses absurdes", se souvient-il encore. "J'ai eu très peur."

publié le 15 décembre à 15h36, AFP

Liens commerciaux