Assassinat de Samuel Paty: deux ex-collégiens à la barre
Déjà jugés et condamnés par le tribunal pour enfants pour leur implication dans l'assassinat de Samuel Paty, deux ex-collégiens ont témoigné lundi devant la cour d'assises spéciale de Paris qui juge huit adultes impliqués, à des degrés divers, dans la mort du professeur en octobre 2020.
"Moi, j'étais juste concentré sur l'argent", raconte Karim (le prénom a été modifié, ndlr), l'ex-collégien qui a désigné le professeur Samuel Paty à son assassin, le jeune Russe d'origine tchétchène et islamiste radical Abdoullakh Anzorov.
Cheveux longs bouclés, habillé d'un sweatshirt à capuche noir, mal à l'aise - l'audience a commencé avec retard car le jeune homme s'était trompé de tribunal -, Karim continue de porter sa "connerie" comme un fardeau impossible à déposer.
"On ne pourra jamais faire machine arrière", dit-il, l'air désemparé, avant de craquer à la barre, en pleurs, les mains sur le visage.
En décembre dernier, à l'issue d'un procès à huis clos, il avait écopé de deux ans de prison dont six mois ferme aménagés sous forme de bracelet électronique. Des cinq autres collégiens jugés à ses côtés, c'est lui qui avait été condamné à la plus lourde peine.
Il revient sur la journée du 16 octobre 2020. "Je sortais de l'école. Le monsieur (Abdoullakh Anzorov, ndlr) est venu me voir et m'a proposé de me donner de l'argent si je lui montrais le professeur... J'ai accepté", dit Karim, qui avait 14 ans à l'époque. Il ferme les yeux en racontant la scène.
"Je suis allé voir des camarades, des collègues à moi (...) On a été voir le monsieur. On lui a dit que le professeur était là et ensuite... Il s'est passé ce drame".
Est-ce qu'Anzorov lui a fait part de ses intentions criminelles? "Le monsieur m'a expliqué qu'il voulait filmer le professeur et lui demander de présenter des excuses" pour avoir montré des caricatures du prophète, se souvient Karim.
- "+On est morts+" -
A l'écoute du jeune témoin, il semble qu'Anzorov avait encore des doutes avant de passer à l'acte. "Il m'a demandé plusieurs fois si c'était vrai, l'histoire des caricatures". Selon le récit du jeune homme, Anzorov avait vu la vidéo dénonçant le professeur et postée sur les réseaux sociaux par Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, deux des huit accusés.
Le Tchétchène demande au collégien d'appeler N., la fille de Brahim Chnina, la collégienne à l'origine des rumeurs mensongères sur Samuel Paty.
Karim s'exécute et appelle N. qui, au téléphone, réitère son mensonge auprès d'Anzorov.
N., qui n'avait pas assisté au cours de Samuel Paty, doit être entendue comme témoin le 26 novembre. Lors du procès des mineurs, elle avait été condamnée à 18 mois de prison avec sursis probatoire pour dénonciation calomnieuse.
"Jamais, jamais, jamais, je pensais que ça allait se passer comme ça. Si j'avais vu un couteau, j'aurais été voir le surveillant", assure Karim, accablé.
L'arrivée de la police après la tragédie lui fera instantanément, mais trop tard, prendre conscience du drame. "C'est à ce moment là qu'on a ouvert les yeux. On s'est dit +on est morts+. On a fait une connerie", dit-il.
La cour demande à Karim si lui-même a été choqué par les caricatures. "Les caricatures? Je vais pas vous mentir, pour moi, c'est juste un dessin. Moi, le seul truc, c'était l'argent", répond-il.
Ces 350 euros, "en billets de 10" remis par le tueur, représentaient une somme colossale pour l'adolescent, enfant d'une famille pauvre.
Un autre ex-collégien, Sami (prénom modifié, ndlr) vient à son tour témoigner à la barre. Au procès des mineurs, il avait été condamné à 20 mois d'emprisonnement avec sursis probatoire de trois ans, pour avoir lui aussi désigné Samuel Paty au tueur.
Pourquoi, l'interroge la cour. "Je réalisais pas trop ce que j'étais en train de faire", se contente-t-il de répondre.
Le procès est prévu jusqu'au 20 décembre.
publié le 18 novembre à 21h40, AFP