Traduire Haruki Murakami en français, travail de longue haleine
Plus d'un an et demi de travail a été nécessaire à la traduction en français du quinzième roman de Haruki Murakami qui sort jeudi, pour la joie de ses nombreux fans.
"La Cité aux murs incertains", paru en japonais en avril 2023, est traduit, pour les éditions Belfond, par Hélène Morita, une habituée de cet auteur. Elle a traduit une dizaine de ses autres ouvrages.
"J'y ai travaillé plus d'un an et demi, notamment en collaboration avec une amie japonaise qui habite en France, ce que je ne fais pas toujours. Pour les livres les plus longs, c'est bien d'avoir quelqu'un avec qui dialoguer. Parce c'est un peu une montagne", dit-elle à l'AFP.
Haruki Murakami, une vedette de la littérature mondiale à 75 ans, ne dialogue pas avec ses traducteurs, hormis aux États-Unis, pays où il a longtemps résidé. Hélène Morita ne l'a jamais rencontré et n'a jamais eu d'adresse à laquelle lui écrire.
- Goût d'inachevé -
"Il se protège", d'après la traductrice française. "D'un côté, c'est regrettable parce qu'il y a des questions qui resteront sans réponse, d'un autre, on se sent libre. Je peux être sûre qu'il ne viendra jamais me reprocher mes choix!"
"La Cité aux murs incertains" (550 pages en français) fait partie des romans de Murakami les moins bien accueillis par la critique étrangère.
The Guardian, dans sa recension fin novembre, a pastiché un péché mignon de l'auteur, raconter deux fois la même scène. Le New York Times a titré: "Le nouveau roman de Haruki Murakami ne donne pas tant l'impression d'être nouveau".
Conformément aux souhaits des agents de l'auteur, les éditions Belfond ne communiquent pas sur le tirage.
En postface, le romancier raconte que le titre et le thème furent d'abord ceux d'une nouvelle publiée en 1980, aujourd'hui introuvable, et qui "n'avait pas trouvé l'accomplissement qu'elle méritait".
Il l'a développée en 150 pages. Puis, trouvant un goût d'inachevé à son intrigue, il a ajouté des deuxième et troisième parties. Ce sont elles qui ont procuré le plus de difficulté à la traductrice.
- "Langue un peu bizarre" -
"Il y a des passages fantastiques, qui nous transportent sans prévenir du réel à l'imaginaire. Ça peut être déstabilisant pour le lecteur. Ça l'est pour le traducteur", dit-elle. "Où est-on? Et qui parle? Il y a dans le roman un balancement continu entre passé et présent, qui passe plus facilement en japonais. Mais qui gêne en français. J'ai essayé de respecter ce balancement, en le lissant de temps en temps".
Elle traduit aussi des classiques du XXe siècle, dont son préféré, le poète Kenji Miyazawa, ou les romanciers Yasunari Kawabata (prix Nobel 1968, dont les textes maniant l'art de la suggestion évoquent l'impermanence, la beauté ou la solitude) et Natsume Sōseki. Elle se rappelle avoir été désorientée au premier abord par le style de Murakami.
"J'ai trouvé sa langue un peu bizarre, en me disant: tiens, on dirait du japonais traduit d'une langue étrangère! Et j'ai découvert que ses tout premiers essais de fiction, dans un japonais classique, ne lui plaisaient pas, donc qu'ils les avaient traduits en anglais, puis retraduits", raconte Hélène Morita.
L'écrivain ne passe plus par cet artifice, précise-t-elle. "Mais il me semble que, plus il écrit, non pas il revient à l'esthétique d'un Kawabata mais plus il creuse profondément dans l'esthétique japonaise". Et accorde une plus grande place à la mélancolie, moins au mal-être contemporain.
publié le 2 janvier à 12h09, AFP