"La grotte nous attendait": 30 ans après, les découvreurs de Chauvet se souviennent
"Quelques secondes de décision qui marquent votre vie": en choisissant, le 18 décembre 1994, de revisiter une cavité qui avait piqué leur curiosité dans le Cirque d'Estre en Ardèche, un trio de spéléologues a découvert la grotte Chauvet, un joyau de l'art pariétal.
"Qu'est-ce qu'on faisait il y a 30 ans à cette heure-ci exactement ?", Eliette Brunel rit à la question qui a fusé de la salle, lors d'une table ronde qui commémore mercredi l'anniversaire de la découverte.
Ce jour-là, vers 11H45, les trois spéléologues, amateurs mais aguerris, sont sûrement "à table", en train de "se disputer pour savoir ce qu'on allait faire dans l'après-midi", avance la septuagénaire, tentant de refaire le récit de cette journée devenue historique.
Son ami Jean-Marie Chauvet suggère de retourner dans une petite cavité qu'ils connaissent déjà. Une suggestion qui lui vaudra, avec l'aval de ses camarades, de laisser son nom à la grotte située à Vallon-Pont-d'Arc, dans le sud de l'Ardèche.
Les "quelques secondes" pour décider d'y retourner marqueront leur vie, raconte-t-il à des journalistes après la table-ronde. "Cette grotte, finalement, nous attendait."
Placée sur la Liste du Patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco, elle abrite les plus anciennes représentations picturales connues à ce jour, selon le ministère de la Culture, avec une date fixée à plus de 36.000 ans.
Lionnes, ours, aurochs, mammouths, chevaux... elle contient plus de 1.000 "entités graphiques", principalement des figurations d'animaux, mais aussi des vestiges archéologiques, comme des ossements d'ours des cavernes.
- "Un gros coup" -
Sur le terrain, Eliette Brunel a pris la tête du trio et creuse l'étroit tunnel par lequel ils se faufilent.
"C'était une sortie comme une autre. On ne pensait pas du tout (...) qu'on allait trouver une grotte ornée. Et quand je suis arrivée au bout du boyau en fait, c'était immense, c'était le vide devant moi", explique-t-elle.
"J'ai fait +ouh+, et le +ouh+ il est parti très loin, donc je leur ai dit: on est sur un gros coup".
Ils descendent par une échelle souple.
"Ça brillait de partout (...) parce qu'on avait des petites (lampes) frontales. Je me rappelle surtout d'une impression de grandeur. Et puis il y avait des cristaux partout", se remémore Christian Hillaire, le troisième spéléologue, époustouflé avant même de découvrir les peintures.
La grotte, scellée par un éboulement 23.000 ans plus tôt, est aussi une merveille géologique aux concrétions féériques, préservées de l'extérieur.
Après une demi-heure, en manque d'éclairage, ils sont obligés de ressortir.
Ils rapportent leur découverte à la fille d'Eliette Brunel, qui veut immédiatement la voir de ses propres yeux. Le groupe y retourne et y passe une bonne partie de la nuit.
A cette occasion, ils découvrent la grande "fresque des chevaux".
"On avait un phare un peu plus puissant, et de loin, on a vu la fresque. En suivant le regard des chevaux, on est arrivé sur la stèle, où un crâne d'ours est posé sur un rocher", décrit Christian Hillaire, au sujet de son œuvre préférée.
- "A la pêche" -
Quelques jours plus tard, la découverte est rapportée aux autorités compétentes.
"Il faut qu'on nous croit, c'est déjà pas évident: Mais tu es sûr que… ? Oui, on en est sûr. Ca se montre, ça ne se raconte pas", se rappelle en souriant Christian Hillaire.
La préservation du site, première préoccupation des trois spéléologues, reste prédominante: l'accès y est très réglementé. Depuis presque 10 ans, le public peut toutefois profiter de ce joyau grâce à une réplique de 3.000 m2. Quelque 3,5 millions de personnes l'ont visitée.
Les trois comparses, qui avaient déjà découvert de petites grottes ornées lors de leurs expéditions précédentes, restent humbles face à leur incroyable trouvaille, qui a été suivie d'années de combats judiciaires pour valoriser leur rôle d'"inventeurs".
"Ce qui vous anime, en fait, c'est comme celui qui va à la pêche: c'est pas d'avoir deux kilos de poisson, c'est au moment où ça mord. C'est ces moments-là les plus importants. C'est les premières 30 secondes", dit Jean-Marie Chauvet.
"Même si on se dit, un jour on trouvera un +Lascaux+, vous n'êtes pas préparé quand ça vous arrive", concède Eliette Brunel.
publié le 18 décembre à 17h17, AFP