Malgré les législatives, la Roumanie ne sort pas du brouillard politique
L'avenir politique de la Roumanie reste flou lundi à l'issue des législatives, qui ont débouché sur un parlement fragmenté avec une percée de l'extrême droite, à une semaine du deuxième tour de la présidentielle, toujours suspendu à une décision de justice.
"Qui va former le gouvernement?" s'interroge en Une le tabloïd national Click. "La Roumanie divisée", titre un autre quotidien, Adevarul.
Et pour cause: si les sociaux-démocrates (PSD), héritiers du parti communiste, sont arrivés en tête du scrutin, ils n'obtiennent que 22% des voix selon les résultats quasi complets.
Juste derrière, le parti d'extrême droite AUR récolte 18%. Il est le premier de trois partis du bloc nationaliste, avec près de 32% au total, soit plus du triple du score enregistré en 2020 par AUR, alors seul en lice.
Jamais, depuis la chute du communisme en 1989, le pays n'a connu une telle percée, alimentée par la colère d'une grande partie des 19 millions d'habitants face aux difficultés économiques, la guerre de l'autre côté de la frontière et une classe politique traditionnelle jugée hautaine et déconnectée.
La prochaine assemblée "sera extrêmement fragmentée et sans parti dominant", résume pour l'AFP Marius Ghincea, politologue à l'ETH de Zurich.
- Rôle clé du président -
"Même le PSD ne pourra gouverner sans deux autres partis", ce qui laisse entrevoir "beaucoup d'instabilité dans le court et moyen terme".
Aux côtés d'AUR, SOS Romania - dirigé par la tempétueuse candidate favorable au Kremlin Diana Sosoaca - et le tout nouveau Parti de la jeunesse (POT), qui font tous les deux leur entrée au Parlement, l'extrême droite "est le plus important bloc", souligne Sergiu Miscoiu, professeur de sciences politiques à l'université Babes-Bolyai située à Cluj-Napoca (nord-ouest).
Les partis sont unis autour de leur opposition au soutien à Kiev au nom de la "paix" et la promesse de défendre des "valeurs chrétiennes". Mais ils sont "divisés en interne", rappelle M. Ghincea et n'ont pas assez de poids pour gouverner sans autre allié.
Plusieurs responsables politiques ont lancé des appels en faveur d'un "gouvernement d'unité nationale" résolument pro-européen.
Mais tout dépendra de "qui sera le nouveau chef d'Etat car il a la main sur la nomination du Premier ministre", relève M. Miscoiu, évoquant son rôle clé.
Le président de la République roumaine occupe une fonction essentiellement protocolaire mais exerce un magistère moral important et une influence en politique étrangère.
- "Signe divin" -
Les jeux sont très ouverts avant le second tour, prévu dimanche.
Soudainement sorti de l'ombre, le candidat d'extrême droite Calin Georgescu inquiète dans l'ouest du continent quant à l'avenir de ce pays stratégique, voisin de l'Ukraine et membre de l'UE et de l'Otan.
Il affrontera Elena Lasconi, cheffe de file des centristes (USR), arrivés en quatrième position aux législatives avec 12,4%.
"Beaucoup dépend maintenant" du Parti social-démocrate "qui n'a pas ouvertement affiché son soutien" à cette candidate, estime Sergiu Miscoiu.
Le succès de M. Georgescu, antivax de 62 ans et admirateur de Poutine, a déclenché des manifestations, notamment parmi les jeunes Roumains.
"Dans le climat actuel, je ne pense pas que nous puissions nous permettre de ne pas voter, surtout vu la vague extrémiste qui nous a emportés", juge Ilinca Chifane, 22 ans, sans être "surprise" des résultats du fait de la montée des nationalismes en Europe.
Mais tout pourrait encore une fois basculer avec une décision de la Cour constitutionnelle: elle se penche lundi sur une demande d'annulation du premier tour, ce qui provoquerait un report au 15 décembre avec un second tour le 29.
Les juges ont commencé la semaine passée par demander un nouveau décompte, alors que l'intégrité du scrutin est remis en question.
Les autorités roumaines ont mis en cause l'influence russe et le rôle de la plateforme TikTok, accusée d'avoir favorisé M. Georgescu, dont la campagne est devenue virale sur le réseau social.
Le réseau social, propriété du groupe chinois ByteDance, a "catégoriquement" démenti ces allégations.
Certains électeurs espèrent malgré tout un retour au calme, comme Doina Matei, 71 ans.
La retraitée voit en l'élection "un signe divin nous intimant d'arrêter de nous quereller, de devenir plus unis, plus rationnels et bien intentionnés".
publié le 2 décembre à 13h34, AFP