Littérature, cinéma: l'Irlande, nouvelle reine de la pop culture
Des best-sellers de la romancière Sally Rooney au succès fulgurant d'acteurs comme Paul Mescal, l'Irlande, petit pays longtemps considéré comme un "outsider", rayonne dans le monde grâce à sa culture, qui connaît un renouveau créatif depuis quelques années.
Rien que ces dernières semaines, difficile de passer à côté de la sortie du très attendu "Intermezzo", quatrième roman de l'Irlandaise prodige, de la nomination des rockeurs de Fontaines D.C. aux prestigieux Grammy Awards, et de l'emballement des réseaux sociaux pour la tête d'affiche tout en muscles de "Gladiator II".
"Nous vivons un moment de richesse culturelle, et il y a une grande vitalité autour de l'identité irlandaise", indique à l'AFP Ruth Barton, professeure d'études cinématographiques au Trinity College de Dublin, alors que le pays se prépare à se rendre aux urnes pour les législatives vendredi.
Selon elle, le succès "phénoménal" du roman puis de l'adaptation télévisée de "Normal People" de Sally Rooney, dans laquelle plus de 60 millions de spectateurs ont découvert Paul Mescal en 2020, a joué un rôle clé dans le rayonnement du pays.
Cette autrice fait partie d'une "nouvelle vague de romanciers, principalement composée de femmes, qui écrivent sur des expériences qui n'ont pas été décrites auparavant", mêlant notamment vie intime et réflexion politique, indique à l'AFP Christopher Morash, professeur de littérature irlandaise à Trinity.
Loués pour leur humour et leur capacité à garder les pieds sur terre, "les artistes irlandais n'ont jamais eu une telle notoriété à l'international", abonde Maureen Kennelly, directrice de l'agence nationale Arts Council of Ireland.
Celle-ci se réjouit d'un "fantastique esprit de coopération" entre écrivains, musiciens, cinéastes et acteurs.
Ainsi, l'oscarisé Cillian Murphy est à l'affiche de l'adaptation du best-seller de Claire Keeghan, "Small Things like These", quand plusieurs tubes de Fontaines D.C. donnent le ton du film "Bird" d'Andrea Arnold, avec l'étoile montante de Dublin Barry Keoghan.
Grâce notamment à l'implantation de multinationales comme Meta ou Apple, attirées par une fiscalité avantageuse, l'Irlande est devenu "un pays riche, qui a beaucoup dépensé dans la culture" ces dernières années, souligne Ruth Barton.
Le budget de l'Arts Council a bondi depuis 2019, l'académie d'arts dramatiques The Lir, créée en 2011 à Trinity, est devenue un vivier d'acteurs, et le pays a même lancé en 2022 un projet test de revenu minimal pour les artistes, qui devrait se poursuivre.
- Fierté nationale -
Petit pays de cinq millions d'habitants, "l'Irlande s'est toujours définie par sa culture, en particulier par ses écrivains et poètes", note cependant Ruth Barton, citant les maîtres de la narration James Joyce ou Samuel Beckett.
Plusieurs périodes d'essor ont eu lieu, toujours au moment de "changements sismiques pour la société irlandaise", souligne Maureen Kennelly. L'un des plus majeurs est la fin du conflit nord-irlandais (1968-1998), qui a pour bande-originale U2 ou The Cranberries.
Plus récemment, l'approbation du mariage homosexuel en 2015, puis la légalisation de l'avortement en 2018 ont aussi changé l'image de l'Irlande, d'un "outsider" à un pays plus progressiste, "qui se libère peu à peu de l'autorité de l'Eglise", poursuit-elle.
"En termes d'influence, l'Irlande peut être comparée à la Corée du Sud. Un changement s'est produit, et une nation agricole s'est transformée en un +hub+ de la pop culture", abonde Christopher Morash.
Ces derniers mois, toute une génération d'acteurs a rendu l'Irlande "cool" à l'étranger, avec bien sûr Paul Mescal - proclamé "internet boyfriend" -, Saoirse Ronan, Andrew Scott, Nicola Coughlan ou Cillian Murphy, oscarisé en mars pour son rôle dans "Oppenheimer".
En recevant la mythique statuette à Los Angeles, ce natif de Cork avait dit sa "fierté" d'être Irlandais, avant d'achever son discours par un remerciement en gaélique: "Go raibh míle maith agat", qui a fait exploser de joie ses compatriotes sur les réseaux sociaux.
Le succès inattendu de "Kneecap", docu-fiction sur un insolent trio de Belfast qui rappe en gaélique, marque lui le début d'un autre "tournant, celui vers un cinéma en langue irlandaise comme moyen d'expression culturelle", souligne Ruth Barton.
Ce film punk, à l'humour subversif, a été nommé dans 14 catégories des British Independent Film Awards de décembre. Et consécration pour le trio de cette nation britannique, "Kneecap" a aussi été sélectionné pour représenter... l'Irlande aux Oscars.
publié le 27 novembre à 16h03, AFP