Faire résonner l'histoire des oubliés qui ont construit le chemin de fer américain
A travers sa musique, l'artiste multi-primée Rhiannon Giddens a toujours cherché à ressusciter des histoires de l'Amérique passées sous silence.
Son dernier projet? Faire résonner celle des oubliés qui ont construit le chemin de fer du pays.
Au fil d'airs traditionnels revisités et de compositions, l'album "American Railroad" raconte l'histoire du rail transcontinental à travers ceux qui l'ont construit, des Afro-Américains, Chinois, Japonais, Irlandais et Autochtones, dont le travail, le déplacement et l'exploitation ont rendu possible l'expansion des Etats-Unis vers l'Ouest au XIXe siècle.
"Ces gens qui n'étaient pas considérés comme dignes d'intérêt dans notre société, ce sont ceux qui ont construit cette infrastructure incroyablement importante sur le plan économique et technologique, qui a changé notre histoire", revendique la musicienne, déjà prix Pulitzer 2023 pour son opéra sur l'histoire d'Omar ibn Said, un érudit sénégalais musulman vendu comme esclave en Amérique.
Egalement lauréate de deux Grammy Awards, Rhiannon Giddens mène ce projet depuis qu'elle est devenue en 2020 la directrice artistique de l'ensemble musical Silkroad, créé en 1998 par le célèbre violoncelliste Yo-Yo Ma pour faire vivre et se croiser des traditions musicales du monde entier.
- "Musiques du monde" -
Violoniste, banjoïste, vocaliste et compositrice, elle a déjà mis en lumière dans sa carrière le rôle oublié des Afro-Américains dans les styles bluegrass, country et folk. Et le banjo sur le dernier tube de Beyoncé, "Texas Hold 'Em", c'est elle.
A 47 ans, elle se voit comme une "artiste très américaine, mais une artiste américaine très enracinée dans l'histoire". Son arrivée dans Silkroad lui a permis d'explorer les traditions musicales de son pays dans le contexte des "musiques du monde".
L'industrie musicale anglo-saxonne utilise ce terme vague pour classer les genres qui ne suivent pas les traditions modernes de l'Occident. Mais pour ses critiques, sa définition large lui fait perdre son sens.
"Cela me rend littéralement folle que l'Amérique se considère +à part+" des musiques du monde, explique-t-elle après une représentation d'"American Railroad" à la Brooklyn Academy of Music.
L'un des titres de son récit musical est un arrangement d'une chanson folk très ancienne écrite par des Afro-Américains emprisonnés injustement et contraints de construire un tunnel ferroviaire à travers la Caroline du Nord, l'État d'origine de Rhiannon Giddens.
"American Railroad" est un album que Silkroad interprète en tournée mais aussi un podcast qui explore le sujet avec pédagogie.
Sa sortie coïncide avec l'élection à la Maison Blanche de Donald Trump, après une campagne virulente contre les migrants, qu'il a qualifiés de "terroristes" et de "criminels" et qu'il promet d'expulser par millions.
- "Diviser" -
Pour Rhiannon Giddens, il faut garder à l'esprit que ce discours vient souvent d'en haut. "C'est toujours l'intérêt des personnes qui utilisent la main-d'œuvre de continuer à la diviser en fonction des classes sociales et d'utiliser leurs origines pour y parvenir", affirme-t-elle.
"Rien de ce qui s'est passé pendant ces élections n'est nouveau (...) si l'on pense à l'État-nation américain, il est fondé sur la violence, la division, le racisme et la cupidité", assure-t-elle encore.
Pour elle, "American Railroad" met en commun les destins de ces prisonniers, migrants ou populations indigènes écrasés par la conquête américaine vers l'Ouest. Elle veut "prendre le langage de la musique et l'utiliser pour montrer comment nous pouvons trouver ces points de connexion".
L'un des derniers titres, "A Win For You", est un récit de victoire grâce à la coopération, symbolisé par l'harmonie des divers instruments de Silkroad.
Un message auquel le public "est très réceptif" et dont "il a besoin". "Plus nous nous reconnaissons dans les autres, même si on nous a dit que nous étions très différents, plus nous pouvons faire quelque chose", résume-t-elle.
publié le 27 novembre à 08h27, AFP