Des femmes indiennes victimes de technologies de surveillance de la faune
© Peter MARTELL, AFP - Un tigre dans le parc national indien de Ranthambore, au Rajasthan, le 1er octobre 2024
Des femmes indiennes sont victimes de harcèlement et d'intimidation à l'aide d'appareils photo et de drones détournés de leur objectif de surveillance de la faune sauvage, selon des chercheurs vendredi.
Trishant Simlai, de l'Université de Cambridge, a interrogé 270 femmes vivant près de la réserve de tigres de Corbett, dans le Nord de l'Inde.
L'exemple le plus consternant a été la diffusion par des hommes sur les réseaux sociaux de la photo d'une femme atteinte d'autisme se soulageant dans la forêt.
Or pour les femmes des villages environnants, cette forêt incarne un espace de "liberté et d'expression", à l'écart des hommes dans cette "société très conservatrice et patriarcale", a expliqué M. Simlai à l'AFP.
Elles peuvent y chanter, discuter de sujets tabou comme la sexualité, et parfois y boire de l'alcool et fumer tout en ramassant des herbes ou du bois pour le foyer.
Mais l'introduction de pièges photographiques, drones et enregistreurs destinés au suivi et à la protection des tigres, éléphants et autres animaux, a un "impact disproportionné" sur ces femmes, selon M. Simlai.
Avec par exemple des survols "délibérés" de drones au dessus de leurs têtes les forçant à trouver refuge de retour d'une corvée de bois, selon l'étude parue dans Environment and Planning F.
Une autre fois un garde-forestier explique que lorsqu'un piège-photographique a saisi un couple en pleine "romance", ses services "ont immédiatement alerté la police".
De fait, comme l'explique l'une des femmes dans l'étude, ces dispositifs inhibent leurs comportements devant ces appareils, "de peur que nous soyons photographiées ou enregistrées de mauvaise façon".
Ils peuvent aussi s'avérer contre-productifs. Comme quand la photo de la femme autiste, appartenant à une caste inférieure, a été diffusée sur les réseaux sociaux par des travailleurs forestiers pour lui faire honte.
Des hommes de son village ont alors "cassé et mis le feu" à tous les pièges-photographiques qu'ils pouvaient trouver, selon l'un d'eux, après cette humiliation.
- Coincées entre hommes et tigres -
Pour éviter ces pièges, des femmes s'enfoncent plus loin dans la forêt qui a la densité de tigres parmi les plus élevées au monde. Elles chantent aussi moins alors que c'était un moyen d'avertir les animaux de leur présence.
L'une d'elles, qui avait expliqué que sa peur des caméras l'avait fait s'aventurer dans des espaces reculés, a été tuée par un tigre cette année, selon M. Simlai.
Qui rapporte un exemple d'utilisation de ces systèmes au bénéfice d'une femme. "À Chaque fois que son mari la battait, elle courait se mettre devant l'appareil photo pour ne pas qu'il la suive", a-t-il expliqué.
Ces techniques de surveillance de l'environnement ayant par ailleurs un effet positif pour la conservation des espèces, M. Simlai juge nécessaire d'informer les communautés locales et de les impliquer dans leur utilisation.
Rosaleen Duffy, spécialiste en écologie à l'Université britannique de Sheffield n'a pas été surprise "malheureusement" par le constat de M. Simlai.
"Ce qui me surprend est que les écologistes imaginent que les technologies puissent être introduites dans un vide social, politique et économique", a-t-elle dit à l'AFP.
Elle juge nécessaire des règles claires sur ce qu'on peut faire ou pas avec ces outils "et des conséquences aussi claires pour quiconque les utilise mal".
publié le 22 novembre à 10h49, AFP