Des jeux de société pour aborder des enjeux de société
© AFP, AFP - Des jeux de société collectés par le Secours populaire, à Privas (Ardèche), le 12 décembre 2014
Sexisme, homophobie, préjugés voire inégalité professionnelle: des jeux de société, parfois militants, tentent de se faire une place sous le sapin pour libérer la parole tout en s'amusant.
Sur le modèle du vénérable "Mille bornes", le jeu "Les Mille pas" propose ainsi aux participants d'incarner une femme dans son parcours professionnel avec, sur son chemin, divers "feux rouges" bloquant sa progression: maternité, stéréotypes, équilibre vie pro/perso, inégalité salariale, sexisme, estime de soi...
Le jeu, disponible en ligne, a été diffusé dans des entreprises, associations, établissements scolaires ou supérieurs, et 15.000 personnes y ont été sensibilisées, selon Coralie Franiatte, fondatrice de Bejoue, qui l'a lancé en 2021.
A l'école d'ingénieurs Centrale Nantes, une partie a récemment été organisée entre des étudiants et des anciens élèves, une initiative visant à "aborder des thèmes dont on ne va pas parler naturellement, avec un ton plus léger, sous le prisme de l'amusement", explique Nicolas, membre de Centr'Elles, une association féministe de cette école.
"Chaque carte devenait l'occasion pour les joueurs de partager des témoignages sur un problème de discrimination vécu au lycée ou dans sa carrière, etc. Ce qui est inquiétant, c'est que, même si on n'a que 21 ans, on avait tellement à dire qu'on passait dix minutes sur chaque carte", témoigne-t-il
"Ça fait du bien. Et c'est un brise-glace entre étudiants", poursuit le jeune homme, qui invite à ces événements les membres de l'association de rugby dont il fait aussi partie.
- "Femmes badass" -
Une autre partie les a rassemblés autour de "Bad Bitches Only", qui consiste, sur le modèle de "Time's Up", à reconnaître des figures féministes, d'abord en les décrivant, puis en les mimant.
Vendu à 9.000 exemplaires, ce jeu entend "revoir notre culture qui a mis beaucoup de femmes sous le tapis", selon Eva Chancé, présidente de Gender Games, dont les trois associés font partie de la communauté LGBTQIA+.
"Il s'agit de connaître 250 femmes, ce qu'elles ont fait pour les arts, la politique, en s'amusant. C'est intergénérationnel car cela va des reines de France à la pop culture", explique la responsable.
Des variantes existent: "Feminist Warriors" centré sur des "icônes féministes" ou "Queer Icons" (personnalités LGBTQIA+).
Dernier sorti, cette année, "Geek Legends" fait deviner des héroïnes de jeux vidéo, de Aveline de Grandpré ("Assassin's Creed") à Ciri ("The Witcher"), ou de mangas, comme The Major ("Ghost in the Shell").
Même dans la culture du jeu vidéo réputé macho, "il y a des femmes +badass+ (dures à cuire, ndlr) qui sont positives et inspirantes", souligne Eva Chancé, qui se présente comme non binaire.
Consentement, pratiques sexuelles: la série "Discultons" (10.000 exemplaires vendus selon Gender Games), créée par la sexothérapeute Léa Toussaint, veut aider "à se découvrir et discuter de sexualité tranquillement".
- Exercer sa répartie -
Animant un compte Instagram, elle recevait des messages privés qui lui disaient "Ce que tu dis, c’est super, mais je ne sais pas comment en parler avec mon compagnon", raconte Eva Chancé.
Une nouvelle version sortie cette année s'adresse aux "Nouveaux Parents", pour "lever les tabous" et ouvrir le dialogue sur leur intimité après l'accueil d'un enfant.
Savoir répondre du tac au tac aux remarques désobligeantes: la société belge Si-Trouille a lancé le jeu de cartes "Takattak Trash" pour s'entraîner à répondre aux piques voires injures à connotation sexiste, homophobe, validiste, grossophobe ou raciste….
"L'esprit de répartie, c'est purement de l'entraînement", assure Geneviève Smal, sa fondatrice, formatrice en prise de parole en public. La série de jeux Takattak, s'adressant à des publics différents, s'est vendue à 60.000 exemplaires, indique-t-elle.
Les joueurs tirent une carte avec un propos agressif et doivent y répondre par une autodérision, une pirouette, une insolence, une question, une vérité ou un compliment.
"Lors d'une fête de famille, au lieu de laisser quelqu'un dire des horreurs sur les femmes, le procès Mazan, #MeToo, l'idée est de donner des armes pour oser répondre de façon appropriée, sans entrer dans une argumentation", assure Geneviève Smal. "La répartie, elle ne met pas de l'huile sur le feu, elle éteint le conflit."
publié le 22 décembre à 11h05, AFP