Le harcèlement scolaire mène-t-il au cyberharcèlement ?
Le fléau du harcèlement touche près d'1 élève sur 10 en France. En parallèle, 24% des familles ont déjà été confrontées au cyberharcèlement. Un phénomène qui s'aggrave dès l'entrée au collège (25%) et encore un peu plus au lycée (27%), selon une étude de l'association e-Enfance/3018.
Face à ce phénomène d'ampleur, lors de la rentrée 2023, le gouvernement a annoncé une série de mesures. Une façon pour la France de rattraper son retard ? Car, à l'ère numérique, au phénomène de harcèlement scolaire se rajoute celui du cyberharcèlement. Dans une optique de lutte globale, comment comprendre ces deux phénomènes ? En tant que parents, comment accompagner au mieux ses enfants ? On a posé la question à Samuel Comblez, psychologue de formation et directeur des opérations de e-Enfance.
Internet : une caisse de résonance
800 000 jeunes auraient déjà subi un épisode de harcèlement. Si ce phénomène n'est pas nouveau, Internet l'a en revanche amplifié. "C'est une forme de caisse de résonance, des messages qui sont envoyés tous les jours", selon Samuel Comblez, directeur des opérations chez e-Enfance.
Pour autant, gardons- nous d'accuser Internet ou les réseaux sociaux de tous les maux, comme de nuire à la santé mentale des plus jeunes. En réalité, Internet ne fait que perpétuer un phénomène déjà présent à l'école. "Les jeunes apprennent à se connaître à l'école, apprennent aussi malheureusement à se détester et cette détestation peut se répandre sur les réseaux sociaux", estime-t-il.
Pourquoi tant de haine ? Parce que l'anonymat possible en ligne à tendance à donner une impression d'impunité : "on a l'impression d'être protégé par un pseudo ou par son écran, et ça donne l'impression aux harceleurs qu'ils peuvent se lâcher, envoyer énormément de messages extrêmement agressifs, sans risque." Pourtant, le harcèlement est bel et bien un délit. D'après la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, le harceleur risque de 3 à 10 ans d'emprisonnement selon la gravité des faits (et de leurs conséquences), et une amende allant de 45 000€ à 150 000€.
Accompagner plutôt qu'interdire
En France, la majorité numérique est plafonnée à 15 ans, en revanche, l'accès aux réseaux sociaux est interdit aux moins de 13 ans. Dans les faits, 67% des élèves de primaire sont inscrits sur les réseaux sociaux. Un chiffre qui monte à 93% au collège, d'après l'étude e-Enfance. Pour endiguer le phénomène de harcèlement, certains préconisent de renforcer les mesures d'interdiction d'accès aux réseaux sociaux aux moins de 13 ans. Incitant au respect de cette interdiction, Samuel Comblez mise également sur un accompagnement adapté : "Interdire les outils numériques aux mineurs, en 2023, n'est pas la solution. Ce qu'il faut, par contre, c'est accompagner dès les premiers usages les mineurs à se servir correctement de ces outils numériques."
En effet, bien que les plus jeunes pensent parfaitement maîtriser les nouvelles technologies, ils n'ont pas la maturité nécessaire pour faire face à tous les risques présents sur le net. L'expérience des adultes s'avère nécessaire pour leur permettre de détecter les risques de cyberharcèlement et gérer au mieux ces situations.
La sensibilisation au sujet du harcèlement et le recours régulier au dialogue ne visent pas seulement à protéger les enfants contre les potentiels risques de harcèlement. Il s'agit également de prévenir les potentiels harceleurs. "Un enfant devient harceleur, le plus souvent parce qu'il y a une forme de mal être en lui, de souffrance intérieure qui n'arrive pas à être exprimée face à ses parents", analyse Samuel Comblez. La meilleure des propositions qu'on puisse faire à cet enfant, c'est de se tourner vers un adulte à l'écoute de sa souffrance, pour que celle-ci puisse s'exprimer autrement qu'en faisant du mal à l'autre. D'après l'étude e-Enfance, 87% des jeunes concernés ont compris les conséquences de leur geste.
Comment parler de harcèlement à ses enfants ?
Qu'il survienne en ligne ou non, le harcèlement est un fléau. Pour protéger nos enfants des risques qu'il représente, il faut en parler.
La lutte contre le harcèlement : une approche globale
Il aura fallu attendre 2013 pour que cette lutte soit inscrite dans une loi française, quand nos voisins scandinaves ont pris le problème à bras-le-corps dès les années 90. Pourtant Samuel Comblez l'affirme, la France "n'est pas non plus particulièrement en retard.".
En début d'année, après une série de cas de harcèlement à l'issue dramatique, le gouvernement dévoile un plan interministériel de lutte « contre le harcèlement à l'école et dans tous les lieux de vie de l'enfant ». Celui-ci comprend : l'instauration d'un numéro unique pour les victimes de harcèlement, le 3018 (aussi disponible sur application), la formation de tous les adultes intervenants auprès de mineurs (en particulier ceux de la communauté éducative) à la lutte contre le harcèlement ou l'instauration de cours d'empathie d'ici la rentrée 2024. Le gouvernement souhaite également développer "la confiscation des téléphones et permettre d'exclure les élèves harceleurs des réseaux sociaux".
Qu'en disent les experts ? Selon l'Unesco, les programmes de lutte contre le harcèlement ne sont efficaces que s'ils respectent une « approche éducative globale ». De leur côté, la médiatrice de l'éducation nationale et le défenseur des droits estiment que la parole de l'élève doit être davantage écoutée. Une idée que partage Samuel Comblez : "Il faut aussi que tout le monde éducatif au sens large, que le monde du sport, que le monde des loisirs se saisissent aussi de ces situations parce que malheureusement, le harcèlement peut avoir lieu dans toutes les sphères de la vie de l'enfant."
publié le 9 novembre à 09h15,