Ukraine: l’électricité, lueur d’espoir et source de chaleur pour les derniers habitants de Pokrovsk
Visage bas, cols hauts, les habitants de Pokrovsk ne s'attardent pas dans les rues, couvertes des premières neiges de la saison. Le mercure, les flocons et les obus qui tombent sur cette ville de l'Est de l'Ukraine expliquent leur hâte.
La Russie, à l’offensive dans la région, exerce une pression constante sur cette zone qui abrite un grand axe logistique ukrainien. En parallèle, elle poursuit dans tout le pays sa tactique de bombardements de l’infrastructure énergétique, pour tenter de briser le moral de la population en la plongeant régulièrement dans le noir et le froid comme les deux hivers précédents.
Située à une demi-douzaine de kilomètres de la ligne de front, la ville de Pokrovsk est déjà privée de chauffage central urbain à force de frappes. Et la saison froide s'annonce particulièrement difficile pour les derniers habitants, quelques 11.500 résidents selon l'administration militaire, sur les 60.000 d'avant-guerre.
Une dizaine d’entre eux s’aventurent sur le marché pour faire quelques dernières courses avant le couvre-feu de 15h, et l'obscurité glacée du Donbass.
"Nous survivons grâce à l’électricité", explique à l’AFP Maximiliane Komachniov, épicier de 25 ans rencontré le 24 novembre. "Nous utilisons des radiateurs et du gaz pour nous chauffer."
Derrière son comptoir, le jeune commerçant se veut optimiste et pense que le courant ne sera pas totalement coupé cet hiver. "Nous ne serons pas abandonnés", dit-il, visage rieur. "Tout ira bien pour l’Ukraine".
Mais, la Russie a d'autres vues. Jeudi, une fois encore, elle a mené des nouvelles frappes sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes, privant plus d’un million d’Ukrainiens d’électricité et forçant de nouveaux rationnements. Des attaques "massives" durant laquelle Moscou a utilisé des bombes à sous-munitions selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
- Radiateur pourri -
Après l'attaque de jeudi, Pokrovsk restait partiellement approvisionnée en électricité, selon l'administration municipale. Mais des pénuries de courant et les délestages de stabilisation menacent.
Sur le marché, Lidia, une dame affable d’une soixantaine d’années qui n’a pas voulu donner son nom de famille à l’AFP, affronte la neige dans son manteau de fourrure synthétique violet pour acheter de quoi manger avant le nuit.
Elle s’apprête à retourner dans son immeuble pour brancher sur le secteur son "radiateur pourri". Mais si l'électricité venait à disparaître ? "Je ne sais pas", dit, démunie, celle qui dit "vouloir juste la paix".
Vitaliï Assinenko, le chef régional de DTEK Grids, une compagnie affiliée au fournisseur d’énergie national, et son équipe travaillent pour leur part dans la ville et ses environs pour reconnecter les câbles arrachés par les obus ou les drones explosifs.
"Il y a encore des civils et des militaires. Tout le monde a besoin d'électricité (pour alimenter des radiateurs) parce qu'il n'y a plus de chauffage" urbain, explique l’ingénieur paisible malgré le danger, casque sur la tête et gilet pare-balles sur le dos.
- "Plus rien à faire ici" -
Alors que son équipe raccorde des lignes, un drone file au-dessus de leur tête dans un sinistre zonzonnement. "C’est un drone ukrainien, pas de soucis", lance, rassurant, Vitaliï, craignant plutôt l'arrivée de bombes planantes et des frappes d'artillerie.
Non loin de là, une munition de mortier non explosée git au sol, témoignant de la proximité de l'armée russe, qui veut conquérir cette cité minière, autrefois animée.
"La ville s’est préparée à la défense", assure Vitaliï.
Dans les rues, les habitants restants ne se déplacent plus qu'à vélo. "C’est Amsterdam", plaisante un électricien, qui s’empresse de quitter les lieux une fois son travail terminé.
Vitaliï, qui est originaire de Pokrovsk, raconte avoir évacué sa famille après qu'un missile balistique a tué ses deux voisins dans leur sommeil et blessé sa femme.
"Leur fils (celui des voisins, ndlr) est sorti en courant dans la rue en criant: Sauvez ma mère ! Il a couru jusqu'à nous. Nous étions abasourdis",
dit-il.
Le long de la route enneigée, les carcasses de maisons s’alignent. Certains habitants y poussent des vélos, déménagent vers les domiciles d'amis équipés de chaudières à charbon, pour pouvoir se chauffer même en cas de coupures de courant.
"L'essentiel est d'avoir du chauffage. Si nos réseaux résistent, Pokrovsk vivra. S'ils s'effondrent et qu'il n'y a plus d'électricité, il n'y aura plus rien à faire ici", conclu Vitaliï Asinenko.
publié le 28 novembre à 19h50, AFP