Jimmy Carter, le président démocrate et évangélique
Pendant des années, les visiteurs se sont pressés tous les dimanches au petit matin sur le parking d'une petite église baptiste de la bourgade de Plains, en Géorgie. Chrétiens ou pas, Américains mais aussi étrangers, ils venaient suivre l'enseignement du catéchisme de l'ex-président Jimmy Carter.
Mort dimanche à 100 ans, Carter n'était pas seulement un président dont l'unique mandat a été profondément marqué par une foi chrétienne inébranlable. C'était aussi un évangélique qui défendait des idées progressistes, une chose quasi impossible dans l'Amérique d'aujourd'hui, où les chrétiens évangéliques appartiennent à 80% à la droite conservatrice.
Démocrate du sud des Etats-Unis et planteur d'arachides, Jimmy Carter est élu président en 1976 dans le sillage de la guerre du Vietnam et du scandale du Watergate, une affaire d'espionnage politique qui avait coûté la présidence au républicain Richard Nixon. Ce fervent baptiste, amateur de gospel, sert alors d'antidote aux Américains.
"Voter pour Carter, le président rédempteur, expurgeait les électeurs de leurs péchés et les absolvait de leur complicité" dans l'accession et le maintien au pouvoir de Nixon, écrivait l'historien Randall Balmer dans "Le rédempteur", une biographie religieuse de l'ex-président.
Mais pendant que Carter négocie les accords de Camp David qui aboutiront à la paix entre Israël et l'Egypte et qu'il tente sans succès d'obtenir la libération des otages américains en Iran, une vague de fond déferle sur la politique américaine: la droite religieuse ultra-conservatrice.
Lancée par des chrétiens fondamentalistes comme Jerry Falwell, un télévangéliste fondateur du mouvement moraliste ultra-conservateur "Moral Majority", cette vague finira par porter Ronald Reagan à la Maison Blanche.
Le christianisme progressiste et tolérant de Carter est vite éclipsé par une ferveur politico-religieuse contre l'avortement et pour la prière à l'école.
La droite religieuse reste une force politique majeure aux Etats-Unis, où 84% des chrétiens évangéliques blancs disent avoir voté pour Donald Trump en 2020, selon le très respecté Pew Research Center.
- Le dimanche avec Jimmy -
C'était une foule beaucoup plus diverse qui se pressait le dimanche sur les bancs de l'église baptiste Maranatha où Jimmy Carter enseignait encore le catéchisme plusieurs fois par mois jusqu'à 90 ans passés.
Pour s'assurer une place assise, il était recommandé d'arriver sur place 5 heures à l'avance et d'attendre dans sa voiture sous une rangée de noyers, pendant que les services de sécurité inspectaient l'enceinte de l'église.
Au lever du soleil, le protocole était énoncé: ne pas toucher le président vieillissant, ne pas lui adresser la parole. A la sortie de l'église, Carter et sa femme Rosalynn permettaient aux visiteurs de poser à leurs côtés selon une mécanique bien huilée qui aura permis à des milliers d'entre eux d'emporter une photo avec un ex-président américain.
Mais ce que Jimmy Carter voulait surtout qu'ils emportent avec eux, c'était son sermon, un mélange de bon sens, de compréhension des droits humains et d'un récit de la vie de Jésus.
Les sorties du couple se sont toutefois raréfiées avec le temps et en raison des problèmes de santé de M. Carter.
Son épouse et fidèle compagne de route, Rosalynn, est décédée en novembre 2023 à l'âge de 96 ans et a été enterrée dans leur ville de Plains, après une messe tenue dans l'église Maranatha.
- Image de bon samaritain -
La présidence de Jimmy Carter est restée laïque mais la foi a guidé sa perception du monde.
Une personne ayant la foi "ne peut dissocier ses croyances religieuses de son engagement public", disait-il en 1978. "En même temps, quand on est élu, on ne peut pas imposer ses croyances religieuses aux autres".
Né le 1er octobre 1924 à Plains, Jimmy Carter grandit sur une plantation d'arachides des environs, où il revient en 1953 à la mort de son père, démissionnant de l'US Navy où une belle carrière lui était promise.
Après l'élection de Ronald Reagan, Jimmy Carter fonde un centre de réflexion à son nom à Atlanta, et devient rapidement un médiateur respecté intervenant dans les grands conflits internationaux, ce qui lui vaut d'être qualifié de "meilleur ex-président américain".
En 2002, il obtient le prix Nobel de la paix pour "ses décennies d'efforts incessants" en faveur des droits humains.
Jimmy Carter a parfois voulu se débarrasser de son image de bon samaritain, comme lors de la campagne présidentielle de 1976, lorsqu'il a avoué, dans une interview accordée au magazine Playboy, "avoir regardé des femmes avec concupiscence".
"J'ai souvent commis l'adultère dans mon coeur", ajoutait-il, suscitant nombre de moqueries. Cela ne l'avait pas empêché d'être élu.
publié le 30 décembre à 16h13, AFP