Société

Mon patron m'ajoute sur les réseaux : j'accepte ou pas ?

Sur le chemin du retour à la maison, le matin au réveil (votre deuxième œil s'ouvre alors instantanément) ou au bureau, alors que trois mètres vous séparent... À tout moment, cette notification, prompte à vous signaler que votre boss souhaite devenir votre "ami", "follower" ou "nouvelle connexion", peut apparaître. Qu'il s'agisse de Facebook, Instagram ou LinkedIn, Yanis, 28 ans, accepte toujours l'invitation de ses managers (quand il n'en est pas à l'origine), sans aucune distinction. "J'essaie tant que faire se peut d'avoir des relations professionnelles et amicales avec mes boss. En les suivant, je pense qu'elles peuvent m'apporter de la visibilité, du réseau et des opportunités, au sein de l'entreprise ou plus tard dans ma vie pro... Et aussi car je sais qu'elles m'ont googlisé avant même que j'arrive ! Donc autant que je les googlise aussi", explique ce producteur de podcast. Pragmatique, le jeune homme utilise ses réseaux comme un carnet d'adresse professionnel, à l'instar de Marie, 31 ans. Cette Française expatriée à Lisbonne suivait déjà son patron avant de travailler pour lui. Friande des restaurants dont il est propriétaire dans la capitale portugaise, elle est devenue son assistante. "Un jour, il a posté une annonce en story sur Instagram, alors j'ai postulé, explique-t-elle. En plus, il est jeune, je ne trouve rien de choquant à l'ajouter sur les réseaux, je suis contente de voir ce qui se passe dans sa vie. Mais j'ai quand même le souci de devoir contrôler l'accès à mes stories", avoue Marie.

Adapter son contenu à sa mère comme à sa boss

Comme elle, Juliette, 29 ans, fait toujours attention à publier ses stories en privé, son vrai privé, insiste-t-elle. Restreindre ses publications constitue une "petite charge mentale" pour cette community manager freelance, qui a déjà raté un job à cause de X, ex-Twitter. "A l'époque, je cherchais un stage. J'avais eu un entretien avec La Poste grâce à un prof et ça s'était bien passé. Finalement elle m'a recalée car j'avais publié le tweet d'une pote un peu méchant au sujet d'une prof. Son explication : 'moi je n'embauche pas des gens qui critiquent les autres'", témoigne Juliette. On peut ne pas comprendre l'essence de chaque réseau social, mais on ne peut ignorer qu'il est primordial de soigner son e-réputation, en commençant par débarrasser son mur Facebook de ses "conneries d'adolescent", dixit Yanis. S'il n'a pas sorti l'arsenal de restrictions pour verrouiller son contenu, le producteur adapte sa manière de poster : "Je pense que nous sommes scrutés sur les réseaux par nos employeurs, notamment dans les métiers des médias et du digital (...) j'évite de donner mes avis politiques, je me contente de partager des éléments de ma vie perso et de ma vie pro que je suis à l'aise de montrer à ma mère comme à ma boss... Mais je pense qu'en effet, mieux vaut ne rien avoir à cacher sur ses réseaux." Montrer patte blanche n'est pas suffisant. Ne sachant pas vraiment ce que son manager attendait d'elle en l'ajoutant sur Instagram, Anita avait l'impression que l'entretien d'embauche se poursuivait. "Je n'ai pas fait le grand ménage dans mon feed mais ça a changé ma façon de publier. Est-ce que c'est assez pertinent et drôle ?", explique cette trentenaire employée dans le marketing. Aujourd'hui, son boss fait partie de ses meilleurs amis.

@sogladfit Quand tu découvres que ton patron te suit sur les reseaux sociaux 🙈 . Je bloque ou pas ?? Ah ah . Bon, en attendant je vous préviens mes stories vont changer 😅 #ToBeReal . 🤣 Bonus points si vous avez des astuces pour impressionner mon patron 👔💼 #workhumor #AustinMillz #humour #work #boss ♬ Austin Millz to be real - TheWadeEmpire

Circulez y'a rien à voir

D'autres ne s'encombrent pas de ces critères, puisqu'ils refusent tout simplement d'accepter l'invitation. C'est le cas de Romain, coordinateur dans une société de production : "Il faut cloisonner ses réseaux sociaux et sa communication. Que ce soit dans nos métiers ou d'autres. Je n'ai pas à savoir comment se passe le séjour de ma N+1 ou +2 au Brésil ou aux Maldives. Et inversement, j'aurai le sentiment d'être épié ou jugé." Même son de cloche pour Clément, manager dans une entreprise de technologie à Paris qui brandit une citation de sa patronne : "Le boulot c'est pas la famille, si mon fils a un problème à l'autre bout du monde, je saute dans un avion. Si demain un collaborateur a un problème à l'autre bout du monde j'en ferai pas autant." S'il est "ami" avec tous ses collègues sur Instagram, il tient à préserver la frontière entre vie privée et vie professionnelle. "Ouvrir son réseau social à son boss c'est s'exposer, tant que tout va bien il n'y a pas de problème. Le jour où on doit se séparer ça peut être très très compliqué", explique le Parisien. Ainsi, partager un peu de sa vie privée revient à créer un lien plus fort... ou pas.

"C'est comme si je me baladais au bureau en maillot de bain."

Julie, employée de Mairie

Louanne, journaliste indépendante relève pour sa part "une fausse proximité, un copinage un peu hypocrite faisant croire à quelque chose d'horizontal alors que c'est très pyramidal. Quant à Julie, employée de Mairie qui se définit comme "très ouverte", elle préfère verrouiller l'accès à son profil Facebook. "C'est comme si je me baladais au bureau en maillot de bain. Tu publies des choses perso, tu partages tes convictions... J'invite volontiers mes collègues à déjeuner chez moi, ce n'est pas le cas pour mon chef, même s'il est adorable, ma maison reste un espace privé." La quadragénaire a notamment été refroidie par la mauvaise expérience d'un collègue, qui s'est fait licencier après avoir accepté le Maire en ami sur Facebook, où il témoignait de son engagement politique pour l'opposition. "Sur Facebook, t'es contente de pouvoir te plaindre de ton boulot, ben là tu peux plus" conclut Julie.

"J'avais tendance à ajouter mes employés pour dégrossir le lien de hiérarchie.""

Thomas, UX designer dans une agence

Suivre vos exploits sportifs (et vos sauteries) du week-end ? Vous fliquer pendant le télétravail ? Ou faire du team building ? Peut-être votre boss veut-il simplement avoir une vue d'ensemble sur les publications à caractère professionnel... On a posé la question aux intéressés.

Effacer ses données : comment utiliser le droit à l'oubli ?

"Dans mon expérience précédente, j'étais le DG de la boîte et j'avais tendance à ajouter mes employés pour dégrossir le lien de hiérarchie", explique Thomas, UX designer dans une agence. Outre la recherche de proximité, communiquer en dehors des outils professionnels permet de "se créditer quand une campagne sort et de s'envoyer des conneries, des refs, bref, du contenu", essentiel pour Benjamin, directeur de création pour un média de divertissement. Ce cadre, qui assure ne jamais ajouter ses collaborateurs "en premier", reconnaît que la pratique est encouragée par un important turnover dans le milieu, ce qui permet de garder le contact. "Tu demandes pas leur 06 aux gens", conclut-il. Après le coup de vieux du coup de fil, va-t-on dire adieu à la traditionnelle candidature bien ficelée - CV et lettre de motivation compris ? Rien ne vous oblige à accepter une proximité digitale avec votre boss, mais si vous craignez d'être marginalisé, restez prudent. Sinon, profitez de l'occasion pour vous la jouer agent double en créant un compte fictif (et partager ce qui vous plaît sans suer).

publié le 3 octobre à 15h27,

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