Face aux lobbies agro-alimentaires, le Nutri-score fait de la résistance
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Créé il y a 7 ans, le Nutri-score se heurte à des industriels qui refusent toujours de l'afficher sur leurs produits. Après une nouvelle révision des règles de calcul, certains l'ont même retiré, alors que des études révèlent que les aliments les moins bien notés sont ceux provoquant le plus de maladies cardiovasculaires.
Les consommateurs sont de plus en plus demandeurs d'informations transparentes sur le contenu des aliments qu'ils achètent. Pour preuve, le succès d'applications dédiées, comme Yuka (21 millions d'utilisateurs selon les chiffres communiqués par l'entreprise en 2021), ou encore le Nutri-score. Créé en 2017, cet étiquetage à cinq niveaux (de A à E et de vert à rouge) imprimé sur les emballages des aliments vendus en supermarché, est établi en fonction de la valeur nutritionnelle du produit. Fruit des recherches de l'équipe du Professeur Serge Hercberg à l'université Sorbonne-Paris-Nord et mis en place par Santé publique France en 2016, le Nutri-score a rapidement séduit d'autres pays européens (Espagne, Allemagne, Belgique, Luxembourg…) mais… pas les industriels. Beaucoup ont d'ailleurs choisi de ne pas l'afficher. D'autres, qui avaient commencé par jouer le jeu, ont finalement rétropédalé après des révisions des règles de calcul. Ce que regrette amèrement Serge Hercberg, questionné le 6 octobre à ce sujet par BFMTV : "c'est totalement regrettable, et même lamentable, que les grandes sociétés ne veuillent plus jouer le jeu de la transparence nutritionnelle à partir du moment où les règles, pourtant établies sur des bases scientifiques, ne vont pas dans l'intérêt de leur produit" déplore l'épidémiologiste. "C'est le marketing qui l'emporte sur la santé publique".
"Il faudrait qu'il devienne obligatoire"
Si les règles de calcul sont ponctuellement revues, c'est pour suivre le rythme de la recherche scientifique : "la science évolue, apporte de nouvelles connaissances" explique Serge Hercberg. De plus, "le marché alimentaire évolue aussi, il y a des reformulations, des nouveaux produits... Et l'expérience a montré qu'il existait quelques imperfections dont certaines pouvaient être corrigées. C'est le but de ces révisions : une meilleure adéquation entre le Nutri-score et les nouvelles recommandations nutritionnelles".
Depuis 2017, 1200 marques ont adopté cet outil. Mais son affichage reste facultatif et soumis au bon vouloir des industriels. Naturellement, les marques mettant sur le marché des produits trop sucrés ou trop gras en connaissance de cause, évitent soigneusement cet étiquetage. Les autres en font un argument de vente.
Ces rétropédalages ou ces refus catégoriques se font dans un contexte scientifique et sanitaire pourtant alarmant : selon une étude réalisée par l'équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle CRESS EREN publiée en septembre, le lien entre la consommation d'aliments mal classés au Nutri-score et un risque élevé de maladies cardiovasculaires, est bien établi. Cette étude a été menée "à grande échelle sur 350 000 personnes" précise Serge Hercberg, et "confirme des travaux menés sur les cancers, l'obésité ou le diabète".
Il y aurait donc urgence à généraliser l'affichage du Nutri-score. Pour y parvenir, une seule arme : la contrainte. "Il faudrait qu'il devienne obligatoire, notamment pour forcer la main à ceux qui le refusent ou souhaitent l'abandonner" estime l'épidémiologiste. "Et pour cela, il faut changer la réglementation européenne. Ce sera très compliqué avec les lobbies, au niveau de Bruxelles".
Dans l'attente, les consommateurs peuvent toujours se tourner vers les marques vertueuses et qui l'affichent fièrement. Pour rappel, l'utilisation du Nutri-score est recommandée par le Centre international de recherche sur le cancer et l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
publié le 6 octobre à 15h38, Sabrina Guintini, 6Médias