Culture

"Disparition", "arrestation": inquiétudes sur le sort de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal

L'écrivan franco-algérien Boualem Sansal le 4 septembre 2015 à Paris

© Joël SAGET, AFP - L'écrivan franco-algérien Boualem Sansal le 4 septembre 2015 à Paris

Gallimard a appelé vendredi à la "libération" de Boualem Sansal, dont il est l'éditeur, après son "arrestation par les services de sécurité algériens", au lendemain d'une "disparition" évoquée par la présidence française.

Le sort de l'auteur franco-algérien, en lutte contre le fondamentalisme religieux et l'autoritarisme, inquiète les milieux politiques et littéraires.

"Les éditions Gallimard (...) expriment leur très vive inquiétude à la suite de l'arrestation de l'écrivain par les services de sécurité algériens et appellent à (sa) libération immédiate", a écrit l'éditeur dans un communiqué.

Selon plusieurs médias, dont l'hebdomadaire français Marianne, l'écrivain de 75 ans aurait été arrêté samedi à l'aéroport d'Alger, en provenance de France.

L'agence gouvernementale algérienne APS a confirmé une "arrestation" de l'écrivain "à l'aéroport d'Alger", sans toutefois donner de date.

Aucune autre information officielle n'a filtré sur son sort, dans un contexte de relations tendues entre Paris et Alger.

Selon Le Monde, les autorités algériennes pourraient avoir mal pris ses déclarations au média français Frontières, réputé d'extrême droite, qui reprennent la position marocaine selon laquelle le territoire du pays aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l'Algérie. Il s'agirait d'une "ligne rouge" pour Alger, qui pourrait valoir à l'auteur des accusations d'"atteinte à l'intégrité nationale".

Jeudi soir, l'entourage du président Emmanuel Macron a fait savoir que ce dernier était "très préoccupé par (cette) disparition" et précisé que "les services de l'Etat sont mobilisés pour clarifier sa situation", ce qu'a confirmé une source diplomatique française vendredi.

Ces événements interviennent dans un contexte diplomatique tendu entre la France et l'Algérie, après l'appui de Paris au plan d'autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental fin juillet.

L'agence de presse officielle algérienne APS a reproché vendredi à la France de prendre "la défense d'un négationniste qui remet en cause l'existence, l'indépendance, l'histoire, la souveraineté et les frontières de l'Algérie", qualifiant M. Sansal de "pantin utile".

- "Son arrestation m'insupporte" -

Plusieurs responsables politiques français ont exprimé leur inquiétude, notamment l'ex-Premier ministre Edouard Philippe.

Parmi les auteurs, les marques de soutien affluent aussi, du Français Nicolas Mathieu, parlant de "piège", au Franco-Marocain Tahar Ben Jelloun, appelant à "libérer" Boualem Sansal.

"Son arrestation m'insupporte. La place d'un intellectuel est autour d'une table ronde, autour d'un débat d'idées et non en prison", a indiqué son compatriote Yasmina Khadra à l'AFP.

Dans Le Point, le Franco-Algérien Kamel Daoud a dénoncé le fait que son "frère" soit "derrière les barreaux, comme l'Algérie tout entière".

Leur éditeur Gallimard a été banni du Salon international du livre d'Alger cet automne. Kamel Daoud est également visé par deux plaintes en Algérie qui l'accusent, avec son épouse psychiatre, d'avoir utilisé l'histoire d'une patiente pour "Houris", roman évoquant la guerre civile dans le pays, prix Goncourt (le plus prestigieux prix littéraire français) en 2024.

Boualem Sansal est une grande voix de la littérature francophone contemporaine, auteur d'une œuvre engagée contre l'obscurantisme et pour la démocratie, sans tabou, parfois caustique.

- Soupçons d'islamophobie -

Né en 1949 à Theniet El Had d'un père d'origine marocaine et d'une mère éduquée à la française, il commence à écrire à 48 ans et publie son premier roman, "Le Serment des Barbares", deux ans plus tard. Il y raconte la montée en puissance des intégristes qui a contribué à faire plonger l'Algérie dans une "décennie noire" ayant fait 200.000 morts entre 1992 et 2002.

Après une carrière d'enseignant, de chef d'entreprise et de haut fonctionnaire, il est limogé en 2003 du ministère algérien de l'Industrie pour sa position critique sur le pouvoir.

En 2019, il participe à Alger aux manifestations qui conduisent à la démission du président Abdelaziz Bouteflika.

Parmi ses titres, "Le village de l'Allemand" (2008), censuré dans son pays d'origine, invoque à la fois la Shoah, la guerre civile en Algérie et la vie des Algériens dans les banlieues françaises.

Dans "2084, la fin du monde" (2015), il dénonce la menace que fait poser le radicalisme religieux sur les démocraties, en imaginant l'islamisme au pouvoir.

Ses mises en garde de l'Europe contre ce danger ont valu à cet athée revendiqué de solides inimitiés. Et le soutien d'intellectuels et de médias de droite et d'extrême droite, applaudissant ses déclarations sur un "ordre islamique" qui tenterait "de s'installer en France".

En Algérie, les menaces ont redoublé depuis qu'il s'est rendu en Israël pour recevoir un prix littéraire en 2014.

Boualem Sansal se défend inlassablement des soupçons d'islamophobie. "Je n'ai jamais dit quoi que ce soit contre l'islam qui justifierait cette accusation" mais, "ce que je n'ai cessé de dénoncer, c'est l'instrumentalisation de l'islam à des fins politiques et sociales", expliquait-il à l'AFP en 2017.

publié le 23 novembre à 04h34, AFP

Liens commerciaux