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Viols de Mazan: notre société "machiste" doit "changer de regard sur le viol", plaide Gisèle Pelicot

  • Gisèle Pelicot arrive au palais de justice avec son fils Florian et son avocat Stéphane Babonneau (à droite), à Avignon, le 19 novembre 2024
    ©Christophe SIMON, AFP - Gisèle Pelicot arrive au palais de justice avec son fils Florian et son avocat Stéphane Babonneau (à droite), à Avignon, le 19 novembre 2024
  • Gisèle Pelicot arrive au palais de justice avec son fils Florian et son avocat Stéphane Babonneau (à droite), à Avignon, le 19 novembre 2024
    ©Christophe SIMON, AFP - Gisèle Pelicot (gauche) marche au côté de son avocat Me Stéphane Babonneau près d'une inscription murale "Viol est un viol", le 14 novembre 2024 à Avignon
  • Gisèle Pelicot arrive au palais de justice avec son fils Florian et son avocat Stéphane Babonneau (à droite), à Avignon, le 19 novembre 2024
    ©Benoit PEYRUCQ, AFP - Croquis d'audience du 10 octobre 2024 de Dominique Pelicot (g) lors de son procès au tribunal d'Avignon

"Il est temps qu'on change de regard sur le viol", a plaidé mardi Gisèle Pelicot, pour qui le procès de son mari et des dizaines d'hommes accusés de l'avoir violée pendant dix ans restera comme celui d'une "société machiste et patriarcale qui banalise" les agressions sexuelles.

"Pour moi, ce procès sera le procès de la lâcheté", a répété à trois reprises la septuagénaire, face à son désormais ex-mari, Dominique Pelicot, tête baissée dans le box des accusés.

Unanimement décrit comme "le chef d'orchestre" dans ce dossier, celui-ci a reconnu l'avoir assommée d'anxiolytiques, pendant une décennie, pour la violer et la livrer à des inconnus qu'il recrutait sur internet.

"Depuis le début de ce procès, j'ai entendu beaucoup de choses, (mais) c'était inaudible...", a enchaîné la victime principale de ce procès hors norme, devenu le procès des violences sexuelles et de la soumission chimique

"J'ai entendu: +j'étais téléguidé+, j’ai entendu: +j'ai bu un verre d'eau, j'étais drogué+. Mais à quel moment ils n'ont pas percuté?", s'est insurgée Mme Pelicot, 71 ans, devenue une véritable icône féministe depuis le début des débats, le 2 septembre, devant la cour criminelle de Vaucluse à Avignon, en refusant le huis clos.

"Il ont violé ! J'entends ce monsieur qui dit +un doigt, c'est pas un viol+. Qu'il s'interroge!", a-t-elle cinglé.

- Aux "ordres" d'un "démon" -

Dernier des 51 accusés à se présenter à la barre mardi matin, juste avant qu'elle prenne la parole, Philippe L., 62 ans, avait adopté cette même ligne de défense, assurant qu'il était "aux ordres" de Dominique Pelicot, un "démon", et que cette nuit de juin 2018 il croyait alors participer au scenario d'un couple libertin où la femme faisait semblant de dormir.

Poursuivi pour "viols aggravés", ce sexagénaire vivant de petits travaux de jardinage encourt 20 ans de réclusion criminelle, comme la plupart des 50 autres accusés, 50 hommes âgés de 26 à 74 ans.

Malmenée par plusieurs avocats de la défense, certains allant jusqu'à l'accuser d'avoir été consentante, Mme Pelicot s'est défendue d'avoir été "sous emprise" ou "manipulée" pendant leurs 50 ans de vie commune avec son époux: "Absolument rien ne m'a mis la puce à l'oreille!"

"Vous martyrisez madame Pelicot", a fustigé l'un de ses deux conseils, Me Stéphane Babonneau, face aux questions insistantes de Me Nadia El Bouroumi.

"Je ne pardonnerai jamais", a en tous cas assuré Mme Pelicot: "Monsieur Pelicot avait beaucoup de fantasmes, que je ne pouvais pas tous assouvir. (...) Comme je ne voulais pas aller dans un club échangiste, il s'est dit avoir trouvé la parade en m'endormant ! J'ai perdu 10 ans de ma vie que je ne rattraperai jamais. Jamais ! Jamais cette cicatrice ne se refermera!", a-t-elle lâché, retenant difficilement sa colère.

- Explications de Pelicot ? -

Une colère qu'elle entretien aussi contre les coaccusés, qui "à aucun moment ne sont allés dénoncer" les faits: "Ils sont venus assouvir leurs pulsions sexuelles et, seulement après, se sont dit que quelque chose n’allait pas dans cette chambre".

Et si "certains hommes ont pu être manipulés par monsieur Pelicot", sur le site coco.fr (NDLR: désormais interdit et fermé) où ils se sont tous retrouvés, "quand on passe à l'acte, il n'est plus question de manipulation": "Pour moi, ils sont tous venus me violer, ça ne fait pas de distingo entre eux".

"Certains me présentent des excuses, et je peux davantage les regarder dans les yeux. Mais ils ont tous commis un crime", a-t-elle accusé: "Toute ma vie je vais devoir vivre avec ça. Que des hommes m'ont souillée, je vais devoir vivre avec ça, toute ma vie. Toute ma vie ", a-t-elle conclu, précisant attendre elle aussi "des explications" de son ex-mari.

Celui-ci devait être interrogé une dernière fois mardi après-midi, avec l'objectif, selon Me Béatrice Zavarro, que son client s'explique enfin réellement sur les raisons de cette dérive qui s'était accélérée avec les années, avec quelque 200 viols au total, la moitié par lui-même.

"On ne peut pas partir de cette audience sans avoir une explication tangible de sa part, au moins pour le respect qu'il doit à son épouse", a-t-elle assuré lors d'une suspension d'audience.

Mercredi, le procès entrera ensuite dans sa phase finale, celle des plaidoiries, avec les parties civiles d'abord. Puis, à partir de lundi, après une suspension de deux jours, ce sera le réquisitoire du ministère public, prévu sur trois journées, et enfin la défense, sur près de trois semaines.

Le verdict est attendu le 20 décembre au plus tard.

publié le 19 novembre à 14h43, AFP

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