"Il m'a fallu 25 ans pour réaliser que ce n'était pas normal" : deux femmes sortent du silence et témoignent contre Jacques Doillon
© Domine Jerome/ABACA
Le cinéaste Jacques Doillon, déjà accusé par Judith Godrèche de viol sur mineur, est sorti de garde à vue en début de semaine après deux nouvelles plaintes pour viol et tentative de viol. Les deux femmes qui ont porté plainte ont témoigné auprès de BFMTV.
Les témoignages se suivent et se ressemblent, mettant en avant l’omerta dans le monde du cinéma ainsi que la toute-puissance de certaines de ses plus grandes figures. Samedi 6 juillet, deux femmes qui ont porté plainte contre Jacques Doillon ont raconté leur calvaire à nos confrères de BFMTV, quelques jours après sa sortie de garde à vue pour raison médicale.
Aurélie Le Roch est autrice et comédienne. Elle confie à nos confrères que "ça fait 25 ans que j’ai cette histoire dans le cœur, dans l’âme". "Cette histoire", c’est une tentative de viol qu’elle a subie lorsqu’elle n’avait que 21 ans, et pour laquelle elle a déposé plainte en février dernier. Elle raconte avoir rencontré le réalisateur après avoir été embauchée comme stagiaire sur le tournage du film Petits frères alors qu’elle voulait devenir comédienne. Elle décrit un comportement de prédateur et une situation d’emprise : "Il m'a reniflée, il s'est approché de moi, il m'a proposé de faire quelques scènes en figuration puis il a collecté des infos sur mon compte".
L’aide que lui proposait le réalisateur était la bienvenue, alors Aurélie Le Roch a accepté son invitation à un café. Malheureusement, il change l’adresse au dernier moment et lui propose de le rejoindre chez lui, où il est seul. "Il me servait bières sur bières, je sentais que je commençais un peu à m'endormir, je ne me sentais pas bien", raconte l’autrice, qui décrit la visite du domicile de Jacques Doillon : "Il ouvre une petite porte, il m'a menée comme à l'abattoir dans un grenier, une impasse. Il m'a coincée pour me violer."
Aurélie Le Roch explique ensuite avoir eu "des suées" et des tremblements : "Entre mon corps et mon esprit, ça ne fonctionnait plus du tout". Cet état psychique, nommé dissociation, est courant lors d’une telle agression. La victime se retrouve quasiment incapable de bouger. Aurélie Le Roch continue son récit en affirmant qu'il l'a "attrapée par le bras" et "l'a tirée vers le lit". "On a eu une lutte très très forte, j'ai réussi à m'échapper (…) Je suis sortie de là complètement traumatisée et humiliée." Elle raconte ensuite sa mise à l’écart sur le tournage du film par les autres membres de l’équipe, et la solitude qu’elle a subie après cette agression qui l’a poussée à "une tentative de suicide dans l’année qui a suivi".
Hélène raconte une série de viols sur mineurs
Alors qu’Aurélie Le Roch raconte cette agression sur le plateau de nos confrères, Hélène est en visioconférence depuis le Canada et écoute ces paroles. Elle explique que "c’est un effarement de réaliser qu'on est plusieurs, et en même temps c'est un grand soulagement parce qu'on est fortes ensemble".
Analyste politique et autrice de contes pour enfants, elle raconte qu’en 1995, alors âgée de 15 ans, elle envoyait fréquemment des lettres à Jacques Doillon pour lui "raconter sa vie et ses tourments d’adolescente", pensant y trouver le soutien nécessaire au vu de sa filmographie.
Ils se sont rencontrés l’été 1995, et se voyaient fréquemment. En décembre, après plusieurs rencontres normales et rassurantes pour l’adolescente, le réalisateur l’appelle et lui demande de le rejoindre : "N’ayant aucune raison de refuser, je m’y rends", explique-t-elle.
Elle décrit ensuite avoir subi "un viol par acte de sodomie", et explique qu’elle "ne comprenait pas ce qu’il se passait", n’était "pas en mesure de le remettre en question".
"Il avait une notoriété artistique, il avait une autorité de fait de par son âge et donc il n’y avait pas pour moi de possibilité de dire non et quand il n’y a pas possibilité de dire non, il n’y a pas possibilité de consentement", explique Hélène, qui raconte avoir subi "à plusieurs reprises ce type d’agression et d’autres actes que je n’énumérerais pas, mais que je trouvais à l’époque répugnants. Il m’a fallu 25 ans pour réaliser que ce n’était pas normal".
L’autrice et analyste politique dénonce ensuite le délai de prescription en France. Pour rappel, il est de 30 ans à partir de la majorité d’une victime mineure de viol, et de 10 ans s’il s’agit d’une agression sexuelle. Ce délai passe à 20 ans à compter de la majorité de la victime si elle a 15 ans et plus. Si la victime est majeure au moment des faits, elle a 20 ans pour porter plainte.
publié le 7 juillet à 12h54, Philippine Rouviere Flamand, 6Medias